Double entrée au répertoire pour le Staatsballet de Berlin avec une allitération de chorégraphes suédois de générations, Mats Ek et Alexander Ekman, différentes mais à l’œuvre établie et reconnue à travers le monde de la danse. Un public nombreux et enthousiaste qui confirme le caractère judicieux de cette programmation.
A sort of…
Musique : Henryk Gorecki (1933-2010)
Chorégraphie : Mats Ek
Cacti
Chorégraphie : Alexander Ekman
Musique : Joseph Haydn (1732-1809), Ludwig van Beethoven (1770-1827) and Franz Schubert (1797-1828)
Staatsballett Berlin
Deutsche Oper Berlin
Mercredi 22 mars 2023
Le Deutsche Oper de Berlin sur la Bismarck strasse est un bâtiment austère, brutaliste et compte tenu de la richesse de l’offre culturelle berlinoise il demeure très difficile à remplir. La renommée des deux chorégraphes suédois Mats Ek et Alexander Ekman ou bien le bouche à oreille firent leur œuvre car la salle est comble, le public aux âges variés et le succès de chacune des deux œuvres est patent. Au-delà de la nationalité suédoise des deux chorégraphes, les deux œuvres ont en commun d’avoir été créées par le Nederland Dans Theater à la Haye à plus de10 ans d’intervalle. Cette Mecque de la danse moderne en Europe accueillit pendant des dizaines d’année le nec plus ultra que le Staatsballett peut se targuer d’acquérir.
Le programme débute par la pièce de Mats Ek, A sort of…, l’atmosphère surréaliste de l’univers du chorégraphe suédois surprend par son couple principal, l’homme habillé d’un manteau rose féminin et la femme d’un costume marron plus masculin. Mats Ek explore dans un pas de deux la richesse et la complexité du couple, compagnonnage au long cours, tel celui formé avec Ana Laguna, son interprète, inoubliable créatrice du rôle de Carmen. Il demeure à la recherche de personnalités et souvent peu amateur des hiérarchies propres aux compagnies de danse classique.
Pour ce premier couple il puise dans le Corps de ballet berlinois et avec son acuité habituelle, révèle deux beaux interprètes : Tabatha Rumeur et Eoin Robison. Au même titre que tous leurs semblables et quelques demi-solistes, les danseurs gagnent en force d’interprétation. Le style de Mats Ek exige une solide technique classique, une forme de puissance et un ancrage dans le sol qui tranche avec le caractère éthéré du ballet classique mais un travail exigeant avec le chorégraphe et ses maîtres de ballet permet d’opérer cette transformation.
Le choix de la musique chez Mats Ek s’avère capital et judicieux comme le prouve les deux partitions enregistrées d’Henryk Gorecki. L’utilisation contemporaine du clavecin notamment fait écho à l’emploi modernisé par le chorégraphe du matériau classique. Difficile de dire de la musique ou de la chorégraphie ce qui est le plus électrisant mais le souffle de cette œuvre créée en 1997 demeure saisissant et explique les demandes de place à l’entrée du théâtre. La collaboration avec Mats Ek pour la compagnie berlinoise est une première, certes tardive, mais ô combien aboutie.
L’homonymie partielle d’Alexander Ekman a souvent suscité la comparaison avec Mats Ek mais leur école et leur langage ne sont pas si communs. Alexander Ekman apparait probablement plus conceptuel et son langage chorégraphique en tant que tel plus difficile à caractériser. Cacti constitue son œuvre la plus connue et la plus représentée à travers le monde. Son succès provient du caractère spectaculaire de l’ensemble, des lumières et du propos ironique sur la danse et ses éléments constitutifs dont le pas de deux. A ce titre, Danielle Muir et Johny McMillan excellent dans la danse que le texte habille avec humour. En dépit d’une narration en anglais pas si évidente à saisir le public réagit au quart de tour à cet humour tout suédois. La petite trentaine de danseurs, tous grades confondus et aplanis joue à l’unisson. Un corps de ballet moderne et une œuvre insolite toujours surprenante malgré les nombreuses reprises récentes en Europe pour le moins.
A la question de savoir s’il existe une école suédoise, la réponse demeure ambigüe mais il est certain que Mats Ek n’accepterait pas de figurer au même programme avec Alexander Ekman s’il n’estimait pas son travail. Il est fort à parier que le public du Staatsballett avec cette double entrée au répertoire associera à l’avenir ces deux maîtres suédois. De manière anecdotique le programme est composé de deux petits livrets indépendants comme si chacune des pièces pourrait à l’avenir retrouver son autonomie. On se laisse rêver à quelles associations la nouvelle direction artistique de Christian Spuck pourrait se livrer. Une programmation à suivre pour les saisons à venir.