Manuel Legris présente une nouvelle production du Corsaire à la Scala, dans sa propre chorégraphie d’après Marius Petipa. Cette relecture exigeante et d’une belle sobriété académique met la compagnie à l’épreuve. Un test passé avec aisance et élégance.
Le Corsaire
Musique : Adolphe Adam (1803-1856) et autres compositeurs
Chorégraphie : Manuel Legris d’après Marius Petipa
Direction musicale : Valery Ovsyanikov
Ballet et Orchestre du Teatro alla Scala
Teatro alla Scala du 28 février au 17 mars
Le Ballet de la Scala a connu une longue histoire avec Le Corsaire qui débuta avant celle du démiurge Marius Petipa qui en conçut la version de référence en Russie et dont l’intégrité fut un peu dénaturée à l’épreuve du temps. Le Ballet de la Scala a repris comme bon nombre de compagnie la version d’Anna-Marie Holmes en 2018 et Manuel Legris emporta de Vienne sa propre interprétation qu’il présente ainsi au public milanais, accessible en streaming dès le lendemain de la première et en replay pendant quelques semaines.
Le Corsaire débute et se termine par une tempête avec une embarcation de fortune dans les décors de Luisa Spinatelli, milanaise pur jus. Son travail emporte l’adhésion par leur élégance parfaitement en phase avec ces fresques du 19ème siècle. L’italienne a également conçu des costumes à l’unisson avec le savoir-faire des ateliers italiens dont l’excellence a sévi urbi et orbi à travers les âges.
Manuel Legris est parvenu à un juste équilibre entre fidélité aux musiques et à la chorégraphie originale, avec une touche personnelle. L’ancienne étoile de l’Opéra de Paris s’affranchit notamment de l’esclave qui fait le succès des galas à travers le monde et lui préfère une lecture plus orientaliste et moins grotesque de la pièce. Pas de pacha à l’embonpoint caricatural, foin des stéréotypes racialisés que notre époque ne saurait souffrir. Certes l’argument n’offre pas le lyrisme d’un Lac des cygnes ou d’une Bayadère mais les trois actes défilent allègrement et offrent à la compagnie un très beau faire-valoir.

Dès le premier acte on est saisi par l’harmonie du Corps de ballet féminin aux tailles harmonieuses et aux proportions élancées. En dehors de Russie il est rare de voir une telle unité. Medora, interprétée par Nicoletta Manni, familière de la chorégraphie d’Anna-Marie Holmes se joue de toutes les difficultés académiques du rôle. Ses lignes sont également impressionnantes et l’intégrité de son interprétation forcent l’admiration. La ballerine originaire des Pouilles se trouve au sommet de son art et confirme la très bonne tenue des danseurs italiens. Nul besoin d’inviter des danseurs russes, londoniens ou parisiens quand le théâtre a su générer et développer ses propres talents. L’un des ingrédients du succès de la soirée réside dans la complicité (maritale) de l’italienne avec son partenaire letton Timofej Andrijashenko. Le danseur noble et attentionné dans son costume de Corsaire rend le personnage hautement fréquentable.
Le tour de force de la soirée n’est pas de distribuer deux solistes de haute volée mais six à la technique et l’interprétation rôdés pour ce grand répertoire. L’ami de Medora, l’italo-argentine Maria Celeste Lora n’a pas encore atteint le premier rang de la compagnie mais mérite par son charisme en scène l’exposition de première distribution. Tout aussi méritants Marco Agostino et Claudio Coviello assurent une représentation parfaite : virtuosité sans tape-à-l’œil, partenariat solide et expressivité adéquate sans donner dans la caricature du film muet.

Le seul aspect un peu perturbant de ce Corsaire réside peut-être dans le patchwork musical avec non moins de dix compositeurs et des cuivres de l’orchestre un peu chancelants. Ceci prouve une fois encore à quel point les plus grands ballets du répertoire font corps avec une partition originale de qualité. Sans Tchaïkovski ou Delibes le balletomane souffre un peu de l’absence de symbiose entre musique et mouvement même si cette production du Corsaire rend incontestablement une forme de noblesse à l’œuvre.