La Fille mal gardée de Frederick Ashton fait les beaux soirs de bon nombre de compagnies et figure au répertoire du Wiener Staatsoper depuis 1986. Un succès jamais démenti qu’une nouvelle génération de danseurs aborde avec style et application.
La Fille mal gardée
Musique : Ferdinand Hérold (1791-1833) orchestrée par John Lanchbery (1923-2003)
Chorégraphie : Frederick Ashton
Direction musicale : Guillermo García Calvo
Wiener Staatsballett Ballet et Orchestre du Wiener Staatsoper
Wiener Staatsoper 30 mars 2023
Il est usuel de dire que La Fille mal gardée fut chorégraphiée au moment de la Révolution française. L’argument et l’inspiration musicale probablement mais le spectacle auquel nous assistons aujourd’hui a beaucoup évolué au fil du temps. Malgré des reconstitutions historiques plus ou moins documentées et fondées, la version que la plupart des compagnies affiche est celle du si britannique Frederick Ashton. Il en confia l’arrangement musical à John Lanchbery qui eut un rôle considérable pour bon nombre des musiques de ballet des années 50 à 70 tout particulièrement. La Fille, Manon comme Don Quichotte, son travail avec Ashton comme MacMillan fut considérable pour l’adaptation des musiques aux standards du public moderne. Pour La Fille comme à chacune de ses interventions l’assemblage musical fonctionne parfaitement, avec un côté presque sucré de la musique et un travail à l’unisson du chorégraphe qui assure une belle pérennité à la matière chorégraphique.
L’argument de la Fille demeure plutôt mince mais le génie littéralement du chorégraphe réside en sa capacité à s’inspirer du folklore anglais en insérant une danse du ruban, d’un mât de cocagne et ultimement des sabots. Ces morceaux de bravoure chers au public londonien ont traversé la Manche avec succès : que le public soit connaisseur ou parfaitement béotien, l’enthousiasme semble universel. Il en va ainsi dès les premières minutes avec les ballerines déguisées en poule qui se promènent et picorent devant les attendrissements et les rires du public.

Les quatre personnages principaux sont parfaitement caractérisés, à commencer par Lise, la turbulente fille de la Veuve Simone. Il s’agit d’un rôle de « soubrette » selon les anglais. L’appellation ne rend pas grâce à la difficulté du rôle qui requiert une technique sans faille, un don de mime et une belle musicalité. La japonaise Kiyoka Hashimoto, première soliste dans la compagnie, tient son rang mais souffre un peu de la comparaison avec ses pairs du Royal Ballet ou de l’Opéra de Paris. Le langage chorégraphique d’Ashton requiert beaucoup d’épaulements et une vivacité du travail de pieds qui pourrait être plus abouti. Le chorégraphe offre également sa signature, le fameux « Fred step » qui mériterait d’être un peu plus caractérisé.
Colas son amoureux doit briller de bravoure et d’espièglerie. Le premier soliste italien Davide Dato présente toutes ces qualités mais manqua peut-être d’un peu de réussite et l’alchimie avec sa partenaire japonaise ne brille pas autant que l’on pourrait s’y attendre. Et néanmoins le couple dessine son drapeau de l’Union Jack comme il se doit, jouant avec tous les accessoires de la chorégraphie sans trop de stress apparent.

La Veuve Simone peut être interprétée par des danseurs plus ou moins jeunes. Il s’agit d’un rôle travesti comme Ashton les aimait. Tout son jeu est chorégraphié avec précision et finesse sous des apparences burlesques. L’espagnol Andrés García Torres, issu du Corps de ballet fait un travail parfait. Juste et drôle sans jamais forcer le trait, il pourrait danser ce rôle pendant vingt ans encore.
L’autre rôle de caractère est celui d’Alain, l’aspirant de Lise qui fait partie des plus grandes réussites de ce ballet. Ridicule et touchant, il requiert des talents de mime à la manière de Jean-Baptise Deburau ou du Mime Marceau. C’est un autre espagnol du Corps de ballet qui fait merveille : Javier González Cabrera. A la recherche de son parapluie rouge et parachuté dans cette farce, il traverse les deux actes avec poésie.
La difficulté pour le Corps de ballet n’est pas réellement technique mais plutôt celle de conserver candeur et esprit de troupe et le résultat est garanti par la compagnie dont la direction semble habilement passée de Manuel Legris à Martin Schläpfer.