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Bertrand Planes: la poésie des pixels

Bertrand Planes naît à Perpignan en 1975. Il commence à coder vers dix ou onze ans. C’est sur un BIC20, acheté par son père, qui ne s’en sert pas vraiment. Un peu avant le commodore 64, en 1985. Comme il ne se passe rien si on ne le sollicite pas, il tape ce qu’il y a dans le manuel, pour que des choses apparaissent à l’écran. Il faut le faire en basic. Il fait des changements: c’est son premier acte créatif. A 19 ans c’est un geek. Il a appris d’autres langages plus complexes. Pas d’amis. Déconnecté de tout. Pour lui, l’informatique devrait peu à peu résoudre tous les problèmes humains. L’ordinateur sera la solution à tout. Il suffit de programmer.

A cette époque le matériel évolue très peu. Ce qui change, c’est le software, le code qu’on y entre, de mieux en mieux, de plus en plus vite, en inventant. On craque des jeux. Les génies entrent dans la démo-scène, où les codeurs stars deviennent célèbres. Planes fait des démos sur des disquettes, comme des clips, colorés et pointus dans leur code. L’écriture est créative, dans les contraintes des ingénieurs, qu’on s’amuse à détourner, ajouter des couleurs impossibles ou des effets insensés.. A propos du code, il parle de poésie. Il est à la limite d’une forme de folie, fasciné par les puissances de 2, il compte tout. Sa partie gauche est censée être impaire, à l’inverse de l’autre, paire. Tout doit être rationnel. Ça ne peut plus durer. Il se lance dans l’excès inverse, celui de la poésie et de l’imaginaire.

Emmaüs

Après le lycée militaire, à Grenoble, comme il est dans la lune, il prend une voie artistique. Il entre aux beaux-arts. Il suit les cours de JL Moulène, Ange Leccia, Parreno, Gonzalez-Foerster, Gianni Motti, Franck Perrin. C’est une période conceptuelle de l’école. Il reste cinq ans. Il produit beaucoup. Par exemple, il crée la marque de vêtements Emmaüs avec Barbara Vaysse. Le projet part de sa volonté de sortir des chiffres, et va vers la mode, qui le fascine. Une marque c’est une charte graphique, un nom, le tout come une matrice qui produit des formes. Emmaüs c’est l’endroit où il s’habille. Il y croise d’anciens militaires et des gens hors normes qui s’y retrouvent pour une réinsertion. Tout y semble désorganisé, et cela le fascine. Le label Emmaüs cache la marque originelle du vêtement donné. Il développe et organise des défilés officiels à Paris, comme pour de la haute couture. Ce sont de vraies performances. Des articles reprennent le défilé. Une sorte de succès. Il s’installe à Paris. Il suit les cours post diplôme de l’ENSAD. .

Bertrand Planes, défilé Emmaus (1999-2004).

Bumpit

Il rencontre le chercheur CNRS Christian Jacquemin, et travaille sur la vidéoprojection. Dans le laboratoire, il collabore avec les étudiants. Il souhaite ramener la mer en Bolivie, qui a perdu son accès lors de la guerre avec le Chili. Avec un système de lunettes et d’algorithmes, il rend la vision de la mer possible pour les habitants. Le travail évolue vers le mapping. Il s’agit de projeter des images sur des objets pour les modifier à la vue. Il exagère la présence de l’ordinateur dans les existences, à des endroits où il est inutile. Par les projections il enlève la couleur des objets. Il modifie la texture des choses. A cette époque il entre à la galerie Artcore à Paris. Il est montré à Slick, en marge de la FIAC. Il est résident à la cité des arts, avec un jardin privé, à Montmartre. Il travaille comme chauffeur pour un anapathologiste. Il conduit une Lexus vers l’avenue Montaigne, et fait la conversation. Il gagne 50 francs par après-midi. Par ailleurs, il vole de la nourriture pour survivre.

Bertrand Planes, BumPit Moscou (2014).

Sa grand-mère Fernande qui vit à Perpignan le conseille et le rassure. Pour lui, elle est le contre pied de l’ordinateur. Sa grand-mère le marque. Elle l’initie aux Pyrénées et au Canigou. Avec elle, il marche, touche les arbres et sent le vent. Il voudrait créer un objet qui conférerait instantanément la sagesse de la vie, celle octroyée par le temps et l’âge. Il crée une horloge a pour cadre la durée entière d’une existence. L’œuvre séduit le collectionneur français Antoine de Galbert qui l’achète 300 francs.

On lui demande s’il est encore en lien avec de Galbert. Il regrette de ne pas être assez sociable. Il est resté un peu geek solitaire.

Bertrand Planes, LifeClock.

Modulateur démodulateur

En 2014 il a quitté la cité des arts, où il est resté deux ans. Avec Arnaud Colcomb, ils cherchent à enrichir le signal informatique avec des erreurs. Le glitch. Ce qui distingue le vivant de la machine, c’est l’erreur, le petit crépitement sur la ligne, ce qui produit de l’inédit. Il prend un signal numérique et le fait se transmettre par des moyens analogiques: lumière, son, par exemple. Dans le jardin des plantes, des émetteurs et récepteurs s’envoient un signal sonore fragile, qui se décale, et que les gens prennent pour des grillons. C’est l’erreur qui donne un supplément d’âme aux choses. Elle est sensible, alors que nos sens perdent le contact avec le monde froid et plat du numérique. Pour l’exposition Yes I can, en 2016 à Perpignan, il demande à des peintres copistes chinois de copier le portrait de Louis XIV par Rigaud, à partir d’une image informatique pixellisée. Pour lui, la copie est plus intéressante. Elle intègre de l’aléatoire, donc de l’humain.

Bertrand Planes, Modulateur démodulateur (2017)

Abîmes et sommets

Pendant deux ans, il note sur son Moleskine son humeur entre 0 et 10 pour repérer des cycles. Il pressent que son regard sur le monde fluctue. Il veut l’étudier. Il note entre 0 et 10, entre le suicide et l’extase. Il cherche des éléments concrets auxquels se raccrocher pour que ce soit moins subjectif. Lorsqu’il était moniteur auto école pendant deux ans, il a appris que le corps n’est pas sensible à la vitesse, mais à l’accélération ou la décélération. L’œuvre traite de cela: le plaisir est relatif à la modification de notre état. La douleur suit sans doute le même principe. Il fait la moyenne de sa courbe, et tombe sur 5,1. Il pense que quoique l’on fasse, on sera toujours à 5. Il décèle des cycles de 25 ou 28 jours et en infère des cycles hormonaux masculins semblables aux règles féminines. Dans l’exposition de l’œuvre, les gens partent avec cette notion d’échelle: je suis à 8, je suis à 3, etc.

Bertrand Planes et Sébastien Planas à Perpignan.

Aujourd’hui il travaille sur des poèmes en morse, qui seront projetés sous forme de la lumière d’un néon. Si on ne sait pas, on voit un néon mal réglé. Si on a le code, on déchiffre des poèmes. C’est un projet pour le centre Wallonie Bruxelles de Paris. Il travaille aussi sur un projet de Minitel. Il a réactivé le champ de texte de la machine avec lequel les visiteurs pourront dialoguer. Le minitel a inventé le chat, et la drague en ligne. Il en fait une version minimale limitée au texte. La machine est programmée pour réutiliser les réponses qu’on lui rentre. Peu à peu, on finit par dialoguer avec soi-même. Depuis trois jours, nous dit-il, il songe à un musée sous marin.

Sébastien Planas
Realitzador nascut el 1975. Director del Filaf (Festival Internacional del Llibre d’Art i del Film) de Perpinyà. Membre del jurat de Cinema dels Premis El Temps de les Arts.

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