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Carmen Ayala, Paris et Buñuel

Carmen Ayala aime écrire. Elle veut être journaliste, ou écrivaine. La peinture arrive par hasard, au moment du lycée. L’habitude de peindre est d’abord secrète, guidée par un prof. Elle s’inscrit aux beaux-arts. Sa famille l’encourage plutôt à envisager d’autres pistes. C’est à Séville. La tradition est forte: Vélasquez, Murillo. Elle étudie surtout la sculpture. La peinture se révèlera plus tard à Paris.

A voir l’exposition Itinérance, artistes de l’Académie de France à Madrid 2021-2022 2 février au 5 mars Académie des beaux arts Paris 23 quai de Conti
Exposition collective : Pierre Loti arpenter l’intervalle, jusqu’au 31 décembre

Les beaux arts de Séville sont une très bonne école, basée sur la technique académique: dessin de nu, peinture, modelage. On étudie le corps humain et l’anatomie. Pas de place pour l’imagination. Le baroque est vivant dans les fêtes et les lieux. Le baroque sévillan est tellement fort qu’on a beau partir, dit-elle, il part avec nous. Murillo est dans tous les imaginaires. Plus récemment Luis Gordillo, Ruben Guerreiro marquent les esprits. Les étudiants sont soudés. Elle garde le lien. Tous continuent et sont aujourd’hui actifs en Andalousie et au-delà: Anna Barriga, Pablo Castañeda par exemple

Paris

Elle cherche à s’éloigner et s’émanciper. L’art contemporain andalou est singulier, et éloigné du reste de la péninsule. C’est vivant et plein de concurrence. On se connaît, on se surveille, il y a une dynamique. L’université et sa formation, même si elle est formelle, jouent un rôle central. Mais le contexte peut être étouffant. Elle essaie de trouver des pairs ailleurs, d’autres formes, d’autres possibilités.

Elle part en Erasmus à Paris. Les camarades andalous, eux, sont allés en Angleterre. Elle préfère Paris, par passion pour la littérature. La France reste le pays du roman. Tous les grands auteurs latino américains, comme Cortazar, ont vécu à Paris. Elle constate la méconnaissance réciproque entre l’Espagne et la France et s’en étonne. Elle découvre les musées français, et pleure à Orsay devant la lumière de La cathédrale de Rouen, de Monet. La ville est internationale. A l’ENSBA, chacun ramène une manière personnelle de peindre. On s’en nourrit. Elle permet une profonde connaissance de l’histoire de l’art. La présence de japonais ou de grecs à l’école, chacun avec des perspectives différentes, enrichit.

L’image du retour.

Alberola

Les entretiens d’entrée à l’ENSBA la mènent vers son professeur, l’artiste Jean-Michel Alberola. Lui comme elle font de la littérature le cœur de leur approche de peintre. La relation entre mot et image est leur sujet de conversation. Le cinéma aussi. Elle découvre ce qu’est l’atelier et la peinture au quotidien. Il n’y a pas de devoir à rendre. Les initiatives sont le centre de la pratique. Le collectif est important: on mange et on parle ensemble tous les jours. On échange. Ses recherches la mènent à écrire un mémoire sous la direction de Didier Semin sur l’Ubiquité. La sensation d’être à Séville et Paris en même temps la hante. Elle en fait un sujet. Elle reste cinq ans à l’école. Dix ans de beaux-arts en tout.

En 2018 elle part à Jérusalem. C’est un lieu qui incarne la multiplicité, la cohabitation minuscule de réalités différentes, dans un désordre très fort. Là bas, elle ne peut pas peindre. Elle observe. La peinture viendra après. A la fin de son diplôme, elle s’est trouvée et revendique une peinture qui lui est propre. Des thèmes et des séries apparaissent. Rétrospectivement elle les constate dans ses anciens tableaux. Des familles se forment. Le tableau dans le tableau, la citation directe dans la peinture sont déjà là. On les retrouve aujourd’hui encore. Les éléments des tableaux sont peints de façons qui leurs sont propres, singulières, individuelles. Chaque tableau est composite.

La tertulia.

Buñuel

En 2020, elle participe au 110ème salon de la Jeune création de Paris, qui l’amène, en raison d’un échange, à participer au filaf à Perpignan, pour y exposer une série de tableaux autour de Buñuel. L’origine de cette passion pour le cinéaste est une vidéo qu’elle réalise à l’école, et qui pousse Alberola à lui demander de regarder ces films. Le double personnage de Conchita dans Cet obscur objet du désir la fascine. Elle développe la série en 22 à la Casa Vélasquez de Madrid, lors d’une résidence. Elle la continue aujourd’hui encore.

Buñuel la frappe par sa modernité. Les films lui parlent au présent. Il utilise des personnages simples, sans complexité factice, qui deviennent comme des idées pures, ce qui permet de se les approprier. L’imagination du spectateur devient un moteur. Le montage des films de Buñuel ressemble beaucoup à sa manière de composer les tableaux. Des éléments apparaissent du contexte présent et de l’actualité, et viennent contaminer le sujet (on pense aux attentats récurrents dans Cet obscur objet du désir). L’effet de réalité de l’œuvre est ainsi plus grand. Le lien à Buñuel dépasse l’histoire commune, l’exil et la France. Dans chaque tableau des questions personnelles apparaissent. On peut s’en emparer sans en connaître la signification. Le rôle de l’humour est central chez les deux.

Viridiana et les pois-chiches.

Conchitas et fières de l’être

Le diptyque de Conchita 18 heures fait référence au couvre feu de 18h. Elle se met derrière un plexiglas comme dans les commerces durant la pandémie. Une caméra la filme, inquiétante, mais rose. Un chat chasse une souris qui sort. La résidence à Madrid est l’occasion de produire des grands tableaux, l’espace le permet. Une exposition suit, avec les résidents. Elle y montre trois pièces. Bien dans sa peau, est le plus grand format qu’elle a jamais peint. Elle se place devant et fait un cercle avec son corps comme compas. Le tableau réunit ce qui la préoccuppe, son corps de femme, des oripeaux, comme un tablier de femme de chambre, une robe de flamenco typique de Séville, des éléments religieux. Dans un petit tableau La nuit espagnole, elle cite Picabia. L’image du retour est un autoportrait comme un reflet dans un miroir, très psychologique.

Le titre est tiré de Maria Zambrano, philosophe espagnole exilée durant la dictature. En revenant en Espagne, c’est le premier livre que l’artiste achète. L’agneau renvoie au christ et à Zurbaran. Mais Zambara raconte que lors de son passage des Pyrénées vers la France, la dernière chose qu’elle voit est un agneau porté par un homme. Lors de son retour, la philosophe se voit avec un regard d’agneau dans le miroir. La Tertulia, tableau de grande taille, renvoie à la discussion de café entre hommes. Dans un tableau des années 20 de Angeles Santos, exposé au Reina Sofia, elle retrouve ce thème et se l’approprie. Il devient un portrait de trois femmes de ménage de la Casa Vélazquez. Marisol, Aurora et Mirta sont comme les trois grâces, avec un corps unique. La recherche sur le thème de la Conchita en France souligne la figure de la domestique espagnole après guerre. A Madrid, durant la résidence internationale, les seules femmes espagnoles qu’elle croise sont des sortes de Conchita.

Bien dans sa pau.

A Perpignan Octavio contre Franco

A Perpignan, lors de son exposition avec le filaf, elle filme Octavio Alberola (rien à voir avec le précédent), anarchiste, résistant au franquisme. C’est un résistant des années soixante, actif notamment dans un projet d’attentat contre Franco. Elle va le rencontrer plusieurs fois et lui écrit encore aujourd’hui. Il a 93 ans. Elle le voit comme un héros vivant. Sa génération comprend mal la dictature. Elle a peu entendu sur cette période et la transition est comme une volonté d’oubli. Les jeunes se questionnent sur l’absence de jugement. Il y a un tabou intra familial. La transmission ne se fait pas. Une certaine peur perdure.

Quinze livres

Une exposition à Calanda soutenue par la casa Velazquez aura lieu en novembre 23, avec catalogue chez La troupe éditeur à Madrid. Il s’agira de s’approprier les lectures de Buñuel entre 1920 et 1930. Elle se focalisera sur les livres lus par le cinéaste et les travaillera pour reconstruire un imaginaire personnel.. En 1920 Benito Pérez Galdós meurt. C’est l’écrivain le plus mis à l’écran par Buñuel. En 1930 paraît L’Immaculée conception de Breton et Eluard. Entre les deux, quinze livres sont lus par Buñuel qui sont le départ du travail à venir. Le premier est Histoire de l’œil, de Georges Bataille.

Quand on lui demande ses crush du moment, elle cite la romancière andalouse Sara Mesa, le cinéaste polonais Jerzy Skolimowski et Albert Serra, comme elle très lié à la France.

Sébastien Planas
Realitzador nascut el 1975. Director del Filaf (Festival Internacional del Llibre d’Art i del Film) de Perpinyà. Membre del jurat de Cinema dels Premis El Temps de les Arts.

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