Né le 21 juillet 1993, Franck Gabarrou vit à Perpignan. Après un parcours littéraire à la Sorbonne, il s’engage dans le dessin et surtout la peinture. Son œuvre, faite de gestes rapides et spontanés, est imprégnée d’un lien fort à la littérature, au territoire et au sport, qu’il pratique avec frénésie. Après avoir montré son travail au salon Swab de Barcelone, au festival filaf à Perpignan et à la galerie Loeve&co à Paris, Il exposera cet été à la galerie municipale de Canet-en-Roussillon et à Collioure. Rencontre avec un artiste en tension permanente et avide de combats .
Qu’est-ce qui t’arrive en ce moment?
Je viens d’avoir un entretien avec Pyrénées Magazine. Ils sont curieux de ma traversée récente des Pyrénées à vélo.
Quel est ton parcours?
Je suis né à Montmorency en région parisienne. Mon grand-père est de Perpignan. J’ai cinq sœurs. Un premier enfant, Fabien, est mort à six mois. Ça aurait été mon très grand frère. Je suis le sixième, et j’ai appris tard cet événement, vers quatorze ans. Ça m’a marqué et je me suis identifié à lui. Et j’ai dramatisé. Ça m’a provoqué une certaine mélancolie. Je devais respirer pour lui, et vivre pour lui.
Comme Dali et son frère mort?
Oui. Et Van Gogh. D’ailleurs les deux portaient le même prénom. Vincent a d’ailleurs vu la tombe de son frère Vincent Van Gogh.
Tu vis à Perpignan: est-ce dans la même maison depuis longtemps?
Oui. C’est la maison de mon grand-père à Saint Assiscle. Il était médecin et photographe amateur aussi. Mon projet pour bientôt est de produire un travail à partir des nombreuses diapositives que j’ai retrouvées qu’il avait réalisées. Mon ami Mathieu Legrand m’a un peu guidé sur cette idée.
As-tu appris la peinture? Quel est ton parcours scolaire? Tes études?
J’étais un cancre intelligent. Au lycée je m’ennuyais ferme. je ne faisais que lire, dans le parc du boulevard Wilson. J’y ai lu La carte et le territoire de Houellebecq, dans le froid, à sa sortie. Mon grand-père était formé aux langues anciennes, et mon père a hérité de sa bibliothèque. J’ai mis tous les livres dans ma chambre. Sans la littérature je ne sais pas ce que je serais devenu. Je n’aurais pas fait d’études. Impossible de faire quelque chose qu’on m’impose. Les lettres c’était plutôt par passion. Puis par orgueil, j’ai voulu passer l’agrégation (concours exigeant de l’éducation ndlr). J’ai été à l’oral, mais j’ai échoué. C’est un regret. Je la passerai sans doute à nouveau un jour. Je suis têtu. Même si je n’enseigne pas ensuite. Je veux ma revanche! Quand je cours ou en vélo, je veux aussi être devant, me battre et gagner.

En peinture est-ce la même chose?
Oui. Je voudrais atteindre un niveau équivalent à ceux que j’admire. C’est très exigeant. Ce n’est pas par vantardise, ni par jalousie. C’est un objectif. On regarde les autres, ce qu’ils font, et on imagine que ça doit être extraordinaire d’être à ce niveau. Depuis l’enfance, je déborde d’énergie. Pas bagarreur, plutôt hypersensible. Le dernier de la famille, j’ai compris la notion de temps, et voyant mes sœurs une par une partir de la maison. Le temps est une menace. L’art et la littérature sont des façons de retenir le temps. Ma famille est plutôt scientifique. Mon coming out en matière d’art a été une rupture dans ma vie. Les études c’est très intéressant, mais ça n’apporte rien si tu veux écrire. On te montre les autres, mais on ne te dit pas comment faire. Quand j’ai raté l’agrégation, j’ai traversé une crise. Je voulais être un grand prof, un grand chercheur. J’avais la “rage de l’expression” comme écrit Francis Ponge. Mais c’était trop académique. La beat generation te libère de tout ça. C’est de la boxe, leur littérature, un combat de rue. J’aimerais aller dans cette direction. Finalement, je suis allé vers la peinture parce que la littérature me bloquait. La peinture c’était la liberté. Je ne me considère pas encore comme artiste. J’ai fait beaucoup de choses, et les ai montrées. C’est fait c’est fait! Il faut que je me structure. Il faut que mes dessins montrent ce que je suis capable de faire et ma réflexion. Il faut que j’arrive à mettre de la réflexion dans ce que je dessine.
Y a t-il un lien entre la pratique artistique et celle de l’écriture dans ta vie?
Le dessin m’a fait progresser dans l’écriture. J’écris un journal quotidien. Je tente des choses, sans respect des règles. C’est un “dévoilement” comme dit heidegger, les choses viennent au fur et à mesure de la création. Ma première série a été les livres. J’ai dessiné les couvertures de mes livres. Les livres m’ont sauvé la vie et me permettent de respirer. Gamin je regardais les livres de la bibliotèque sans rien faire. J’étais fasciné. La pensée ce n’est rien, les livres sont tout. Cette série sur les livres a été un jalon. Je vais continuer autrement, avec de l’huile sur toile, des natures mortes. J’ai d’autres moyens techniques qu’au début, je peux faire autre chose.

Les portraits c’est une autre aventure?
C’est l’autre aspect de mon travail. Michon le dit dans Vies Minuscules. il a eu une révélation avec Velazquez. Il reconnaissait les gens dans le bus comme si c’était des portraits de Velazquez. C’est difficile. Il me tarde de savoir faire de beaux portraits. Je suis un enfant gâté, j’ai toujours eu ce que je voulais: mais je connais la frustration par la peinture. Je crois que je n’ai jamais réussi une toile. Peut-être dans dix ans? J’apprends avec Marion Bataillard. Pour moi les choses un peu ratées ou les brouillons, comme ceux de Proust, ont une grande importance. S’il y a une sincérité du geste, l’œuvre est légitime. Rater ce n’est pas grave si l’intention est honnête. L’art représente ce dont est capable l’homme, et il reflète la vie: la vie n’est pas parfaite. Mes œuvres plaisent et parfois ça m’étonne. Moi souvent elles ne me plaisent pas; j’ai le sentiment d’avoir été honnête et d’avoir dit quelque chose de moi profondément. C’est peut-être ça qui touche les gens. Si je travaillais trop mes œuvres, ce ne serait plus moi, et les gens le sentiraient.
Ta première exposition à Paris?
Chez Loeve&co en 2020. C’était comme un rêve. Je suis rentré dans certaines collections importantes.Je ne les connais même pas car le galeriste reste secret. Cette exposition a montré ce dont je serai capable dans le futur. Les gens ont compris que j’avais quelque chose à dire. J’ai envie de retourner là-bas par la bonne porte. J’ai entendu des professionnels là-bas. Ils me disent qu’ils n’ont pas l’habitude de voir ce genre de démarche. Ils sont secoués et me disent de garder la spontanéité. Je ne suis pas doué comme certains élèves des beaux arts. Mais j’ai des idées à n’en plus finir.

Puis l’exposition à Swab Bcn?
C’étaient des portraits d’écrivains: Baudelaire, Kafka. Il faut que je reprenne ça. On a tout vendu avec l’autre artiste, Mathieu Legrand-Losfeld. Un portrait c’est hanté par la mort. Zweig dit ça. Aujourd’hui on est dans le désir, et en même temps on est frustrés par l’impression de fin du monde. La vérité c’est le tragique. Un portrait ça met les gens à nu. Je fais les gens tristes. Être heureux c’est fatiguant et ça ne donne pas de bons portraits. Soutine vieillissait ses personnages. Quand tu peins, tu te mesures à Alice Neel, à Rembrandt. Marion Bataillard m’impressionne aussi. Elle me conseille. Je sais que je peux faire mieux que ce que j’ai fait. Même si on ressent des choses en les regardant.
Le sport est-il un loisir ou est-il central dans ton existence?
Central! J’en ai toujours fait. J’ai arrêté à l’adolescence. A Paris, je suis parti en vrille. Je vivais à cent à l’heure. Je travaillais très bien avec de super notes, mais une hygiène de vie déplorable. J’étais dans l’illusion balzacienne du provincial qui monte à la capitale. Le sport c’est le même processus que l’art. Je ressens tellement de choses, je suis un tampon qui regorge de toute l’anxiété possible. Le sport évacue tout ça. C’est un besoin existentiel. Le sport c’est une démarche poétique. La seule transcendance c’est l’art et le sport. Ceux que je pratique ce sont des sports d’endurance. En courant, je me dilue dans le monde. Ce sont des moments très personnels, qui n’appartiennent qu’à moi. Hier j’étais en train de courir à la Massane. Il y avait des lumières, c’était indescriptible. Le cœur à fond te met dans un état second. La performance me plait. J’aime savoir que mon corps marche aussi bien. Ça m’étonne même. Je m’étonne de ce que peut mon corps. J’ai des prédispositions. Dans les courses, je suis très devant les autres. Je vais refaire la traversée des Pyrénées l’an prochain, en moins de quatre jours. Mais je ne suis pas dans un club. Les entraînements et le processus technique du sport ne m’intéressent pas. Je travaille pour faire des ultras trails, plus de cent kilomètres en courant. J’ai des blessures, des hématomes. Je les peins aussi en aquarelle. J’ai couru avec une épine qui avait traversé la basket la dernière fois (il montre l’épine en photo et le pied ndlr).

Tes thèmes?
J’ai un côté vieillot. Pas du tout contemporain. Je ne presse pas les choses. Je peins des paysages en ce moment. Starobinski regrette que le monde disparaisse dans l’art contemporain. En tant qu’artiste je pense que j’ai le devoir de montrer la beauté du monde. A ma façon. Je suis d’ici, à Perpignan et alentours, et c’est tellement beau. On n’aime pas notre région en France. Je voudrais peindre nos paysages tels qu’ils sont vraiment.
Les prochaines expositions ?
Cet été à Canet à partir du 15 juin. Je vais montrer des paysages de la région. Il faut que j’arrive à faire quelques peintures réussies. Je ne sais pas si je suis prêt. Je sais que je brutalise un peu la peinture. Je respecte ceux qui peignent de façon soignée. Mais comme dit Soutine “la peinture ça se dégueule”. Je suis à peine sorti de l’œuf, mais je bataille. J’ai refait mon atelier à Perpignan. Je ne sors jamais ou presque. Je travaille et je cours.