Raphaëlle Ricol a d’abord été formée au graphisme. Puis, au gré d’une année passée malade, sujette à un flot mental d’images, elle s’est engagée dans la peinture. En ce sens, elle est autodidacte. Les toiles qu’elle propose reflètent cette sorte de liberté et de brutalité, mais aussi de mélange des genres et des strates signifiantes, qu’elle opère dans son travail. Aussi bien les sujets (jeux de cartes, courses auto, batterie rock, tableaux classiques), la forme (acrylique, huile, tempura, lisses ou appliqués en épaisses traces) que les formats, varient. On subit un effet de désorientation. Il y a une importante diversité, sans réel principe directeur. En art, un principe est-il nécessaire? La cohérence est ailleurs, dans l’intention. Deux expositions récentes, l’une à Perpignan au centre d’art À cent mètres du centre du monde, l’autre à la galerie Patricia Dorfmann Paris, permettent d’appréhender son travail, à présent représenté dans les plus grandes collections: De Galbert, Pinault…
D’abord les références à la peinture et son histoire. C’est par le jeu de cartes que deux tableaux s’approprient des peintures iconiques. Les joueurs de cartes du Caravage et de Georges de la tour deviennent des personnages plus ou moins contemporains, dans des attitudes de triche remasterisées: sortes d’appareils à miroirs sur la tête, multi lunettes (Les mécaniciens, 2022), briquet, etc. Le genre humain triche autant qu’avant, mais de façon différente. Ricol est passionnée de jeux de cartes et de tours de magie. On se demande s’il ne faut pas voir une allusion à la place de l’artiste, lui-même tricheur? Le syndrome de l’imposteur guette! Plusieurs tableaux ont pour thème le billard (Billard vert, 2022; La boule blanche, 2021). On pense à Van Gogh. L’artiste confirme. Mais la conscience de la relation est postérieure à la réalisation des peintures.

Ailleurs, c’est la citation d’art contemporain: Damien Hirst, Jeff Koons et Maurizio Cattelan sont convoqués dans trois tableaux qui reprennent chacun des œuvres des artistes stars. Dans des sortes de mashups qui confrontent plusieurs pièces dans une toile, Ricol rend un hommage ambigu en saturant l’espace, modifiant les proportions et faisant s’entrechoquer les univers. L’effet saisit. Prenons Maurizio, 2022. Hitler à genou (référence à Him, 2013, vendue 15M€) en posture de prière, est agrémenté d’une banane immense (en référence à The comedian, 2019, banane scotchée au mur et qui a rejoint les collections du Guggenheim) qui semble prolonger son nez. Double référence au mensonge du nez qui s’allonge chez Pinocchio et l’enjeu sexuel de la banane. L’allusion semble confirmée quand on devine une banane plus petite qui sort de la braguette du personnage, à travers ses mains croisées. Le cou allongé et les yeux en miroir peuvent faire penser à Modigliani. On est peintre, on aime peindre semble dire Ricol.

À Paris, deux tableaux immenses se font face, très musicaux. Ricol, malentendante de naissance, indique percevoir les vibrations. Elle voulait produire, dit-elle, des tableaux sonores. Un batteur hystérique (Batteur, 2022), aux yeux hallucinés, lève des baguettes immenses dans un mouvement brutal. Les fûts et les cymbales sont en surchauffe. Tout est pris dans un tourbillon d’enfer. Par des zones d’aplats aux touches saccadées et imparfaites, un effet de saturation apparaît. Cela ne suffit pas? Ricol ajoute le bas de caisse d’une voiture au plafond. Le moteur participe à la cacophonie. On est à la limite. Le tableau est typique de la volonté de l’artiste d’aller au bout du bout de l’effet escompté. Dans l’autre tableau, en face, c’est une vue de scène de rock, où des musiciens hallucinés, agitent leur corps, hystériques.
La diversité des techniques est extrême, comme celle des impressions produites. Ricol ne semble avoir aucune limite, ni aucun tabou. Le Christ devient personnage au visage de smiley gentil, en débardeur genre tricot, les bras musclés, et l’auréole simplifiée (Jésus, 2022). On est entre Zurbaran et Bob l’éponge.

Sans aucune volonté systématique, ni aucun projet critique explicite, Ricol produit ainsi un ensemble de peintures saturé d’images de haute et basse référence, traitées dans des approches libres. Des effets de sample, comme si elle utilisait, changeait la tonalité, augmentait telle ou telle caractéristique, font des tableaux des univers familiers et singuliers à la fois. On pense au mouvement du sous-réalisme, duquel on l’a souvent rapprochée (Stéphane Pencréac’h, Léopold Rabus) mais aussi à Neo Rauch ou Geneviève Figgis. Au-delà, l’attitude irrévérencieuse, digne de Picabia en grande forme, donne un souffle à chaque pièce. On sourit, on prend un coup, à chaque fois. Pas elle, qui confie produire dans la souffrance, jusqu’à la limite parfois. Elle évoque sa vie, consacrée quasi exclusivement à son travail. Son rapport à la religion, à l’art. On perçoit une hypersensibilité, dont évidemment on n’attend pas moins d’un artiste, mais qui n’est pas si commune.
