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Rencontre avec Abdelkader Benchamma à propos de l’exposition ‘Cosma’

Llegeix-lo en català

Abdelkader Benchamma, né en 1975, est un artiste français dont l’univers foisonnant et étrange s’est récemment développé dans plusieurs expositions remarquées, notamment une à la collection Lambert en Avignon. Une importante présentation d’œuvres récentes vient d’ouvrir à la galerie Templon à Paris. Son titre est ‘Cosma’. Nous avons rencontré l’artiste pour mieux savoir les sources auxquelles il puise.

À voir Cosma, galerie Daniel Templon Paris, jusqu’au 18 mars
Arco Madrid, 22-26 février sur le stand galeria ADN

L’exposition Cosma est ambitieuse. Elle occupe la galerie par des pièces encadrées et plusieurs dessins muraux de grande taille. Cet univers commence d’abord par résister. De quoi est parti ce projet?

Le projet est initié par une résidence à Palerme avec l’institut français. Je suis fasciné par Palerme avec ses églises et son passé arabe et normand. C’est un lieu pétri de contradictions. C’était en lien avec le festival Sète Palerme. Je voulais trouver des réponses formelles à des questions que je me pose depuis des années. Là bas des choses ont changé pour moi, par exemple l’intégration de la couleur dans mon travail. Je voulais une couleur non décorative qui ait une signification. J’ai été fasciné par l’Église Del Gesù et ses marbres. L’église a provoqué quelque chose en moi, et dans mon travail.

Peux-tu nous en dire plus sur ces marbres? Sont-ce des imitations? Des sculptures?

Ce sont de vrais marbres, juste le marbre exposé. Deux plaques qui font une symétrie, et évoquent des analogies formelles. Dans les marbres, on voit des choses, des formes qui apparaissent. Les artisans et ouvriers qui l’ont fait sont aujourd’hui documentés. Les premières occurrences seraient à Istanbul à Sainte Lucie, au sixième siècle. C’est très ancien. A Palerme j’ai découvert que ces marbres symétriques ont émergé dans une époque où les chrétiens proposaient des formes graphiques et les musulmans commençaient à interdire la représentation, bien avant la crise de l’iconoclasme, et en l’annonçant. Justinien a fait insérer des formes très abstraites.

Abdelkader Benchamma dans son atelier @Sébastien Planas

Qu’est-ce qu’on voit dans ces marbres?

Dans le narthex il y a des marbres très bizarres. On trouve des formes entre figuratif et abstrait, reconnaissables et non identifiables à la fois. C’est la limite qui est intéressante. A Sainte Sophie on voit des silhouettes des traces de corps… C’est vraiment étonnant.

Est-ce un peu comme les pierres à images?

C’est autre chose car les pierres ce sont des paysages miniatures. C’est très figuratif. On invite le cerveau à les trouver, comme un quizz. Les marbres c’est autre chose. Déjà ils sont dans des lieux de culte, ça change tout. L’idée c’est que Dieu a créé ces formes, ce qui évite d’avoir à dire que c’est l’homme. Dieu possède la nature et fait des miracles comme ces marbres que l’on a sous les yeux. Ce qui m’a amené c’est un choc plastique à Sainte Sophie. La conviction que ça ne peut pas être uniquement décoratif.

Fra Angelico a imité des marbres.

Oui. Mais moi je ne suis pas dans l’imitation ou le trompe l’œil. Dans mon expo j’ai pris des libertés avec les marbres. Je dessine sans photo, il y a des accidents, je verse de l’eau etc. Comme dans la nature. Le marbre est une pierre qui fait se rencontrer des éléments dans des concrétions et des minéraux, qui produisent ces veines. Le marbre évolue sans cesse. Intègre des organismes. Ce sont des pierres métamorphiques. Je préfère ces marbres à ceux de Carrare.

Vue de l’exposition Cosma.

Existe-t-il des témoignages ?

Un historien, Finbarr Barry Flood, a écrit sur ce sujet. Il y a très peu de choses. Il raconte des récits de voyageurs qui reviennent en ayant vu des papillons ou des plantes dans des pierres. Il fait le lien avec la manière de mettre Dieu dans la nature. A Jérusalem,, à l’extérieur du dôme du rocher, il y a des choses très étranges.

Tu as produit plusieurs muraux pour cette exposition.

Les deux muraux se répondent. Il y a une symétrie. Les dessins ne sortent pas vraiment du cadre, pas à tous les endroits. Ce sont des superpositions, des saturations de l’espace. Les univers s’entrechoquent. Je n’avais jamais fait cela. A la collection Lambert, les muraux partaient du centre et devenaient de la fumée et d’autres choses. Je voulais faire plus d’installations, mais c’est très difficile dans une galerie. Sans doute l’effet white cube qui rend les dessins accrochés hypnotiques pour l’artiste lui-même.

Cosma Marmo me fait penser à des chromosomes?

[Rires] Je me suis inspiré de marbres qui sont au dôme du rocher. Ils doublent et redoublent le marbre. Il y a une symétrie en bas et la même au-dessus, encore reprise… Le motif est démultiplié. A partir d’un pattern, les artisans imaginaient ce que ça allait donner démultiplié. Pour qu’il y ait ça dans des lieux saints, c’est qu’un langage a été mis en place. Cette pièce parle de ce qui m’intéresse dans Cosma: l’étrangeté de ces marbres, leur organicité. On pense au sang, au saint suaire aussi. Certaines personnes y ont vu des osselets, d’autres des hiéroglyphes.

Abdelkader Benchamma @Sébastien Planas

Et la pièce en diptyque Symétrie?

Je l’ai réalisé à Palerme. On dirait une marqueterie. Je voulais donner une matérialité. C’est une pièce qui était légère. Daniel Templon m’a demandé de la durcir. J’ai insisté sur certains détails. J’ai aimé l’expression durcir.

Il y a aussi Trees où il semble que du texte apparaît?

C’est une série commencée pour Sérignan. Dans des forêts des formes apparaissent, comme des merveilles, et deviennent des messages. Sur internet des photos trafiquées circulent. La nature devient un mythe: arbres en feu, transformations. Dans ces arbres aussi il y a des symétries, des symétries imparfaites car dans la nature il n’y a pas de symétrie parfaite, y compris et surtout le corps humain. C’est une nature déterminée par des causes que nous ne connaissons pas; un peu comme dans la philosophie de Spinoza. L’abstraction de mes œuvres disparaît vite quand on les regarde. Des figures apparaissent. Les animaux et les hommes reviennent dans mes dessins comme des engrammes. Il s’agit de libérer l’imaginaire. Que ce ne soit pas littéral.

Tu vas présenter deux dessins à Arco avec Adn?

Il s’agit de la géologie du dessin. Des strates. Dans un il y a cette tentative de mettre de la couleur. Techniquement je mets de l’encre, de la peinture et du stylo. Ma technique est de plus en plus mixte. C’est une alchimie.

Pour finir, ta lecture du moment?

Monolithe de Antonio Dominguez Leiva, chez Puf. Sa culture est hallucinante. Il traverse la littérature et le cinéma. Il y a une longue partie sur Kubrick. Les monolithes deviennent fascinants.

Exposition Cosma Abdelkader Benchamma Galerie Templon.
Sébastien Planas
Realitzador nascut el 1975. Director del Filaf (Festival Internacional del Llibre d’Art i del Film) de Perpinyà. Membre del jurat de Cinema dels Premis El Temps de les Arts.

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