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Rosa María Unda Souki: manières de peindre des foyers

Llegeix-lo en català

L’année débute à fond pour l’artiste Rosa María Unda Souki, qui vit à Paris. Plusieurs expositions révèlent ses travaux récents. Au centre Centre d’art de Bonneuil, où elle montre deux tableaux jusqu’au 8 avril. À ArtParis puis à la galerie Ariane CY, où elle présente son nouveau projet “Recherche”. Une réflexion picturale sur la notion de foyer et les difficultés sociales, communes à tous les pays européens, qui gravitent autour d’elle. Les bonheurs et la beauté aussi.

Foire Art Paris 2023
Grand Palais éphémère.
Galerie Ariane CY Stand J7 du 29 mars au 2 avril 2023
La Recherche
Exposition personnelle. Galerie Ariane C-Y. Du 13 au 16 Avril 2023.
80, Rue de Turenne 75003 Paris

Créer de l’intime

Rosa María Unda Souki, dont le nom évoque de lointaines origines basques, est née à Caracas au Vénézuela. Mais elle a toujours été nomade. Très vite, elle déménage à Guama, petit village d’où est natif son père. La famille part en Angleterre puis retourne à Guama. La maison devient la maison de référence dans l’univers mental de Rosa Maria. Elle déménage plusieurs fois encore pour retourner enfin à Caracas afin étudier les beaux-arts.

Son père architecte la marque dans sa construction mentale. Elle l’observe dans sa façon d’habiter des lieux pour en faire un endroit qui accueille et crée de l’intime. Ce père, elle le compare à un paysan: c’est un homme du peuple, qui parle l’argot de la province et dit des gros mots. A la maison pourtant, les livres grouillent et on parle d’art et de danse. Elle se rappelle d’un livre sur le cinéma mexicain, Maria Félix et les films d’El indio Fernández. Un livre sur Marilyn, un autre sur Modigliani et les biographies de Arturo Uslar Pietri Valores Humanos. Ces vies, comme celle de Nijinski, Chopin ou Diaghilev la fascinent. A la maison, il y a aussi Romancero Gitano de García Lorca, qui ne l’a pas quittée et sur lequel il faudra revenir. Toutes les semences sont plantées pour pousser ensuite.

Une éducation libre

Sa scolarité commence en avance et elle termine le lycée à seize ans pour entrer aux beaux arts. C’est l’instituto universitario d’estudios superiores en arte plástico Armando Rivero, en banlieue de Caracas. Le désir de faire de l’art était en elle depuis longtemps, et le choix a été vite fait. L’école, elle la qualifie de joie. L’enseignement y est expérimental. On choisit une spécialité au bout de deux ans puis on la développe pendant quatre ans. L’école vient d’ouvrir et les jeunes sont un peu des cobayes: les professeurs expriment une volonté d’écoute des élèves favorisant leur langage personnel. On les renforce dans leurs choix. L’école est pauvre et la bibliothèque se résume à trois étagères. Il n’y a pas d’ordinateur. L’école n’a pas de bâtiment propre et doit déménager. Mais malgré cela, on s’y débrouille.

Un dels premiers travaux.

Elle se souvient que la Poste offre un jour une quantité extraordinaire de papier avec son logo sur toute la surface. Les élèves s’en servent de façon créative et différente. Les étudiants utilisent les produits comme les couleurs selon les promotions dans les magasins: si le rouge est en promo, tous s’en servent, mais d’une façon absolument différente et personnelle. Son diplôme est passé en 1999 après sept ans d’études. L’instituto existe toujours mais les choses ont changé, les professeurs brillants sont parfois morts, et les autres résistent dans le chaos du Vénézuela. En 2007 elle y retourne pour le visiter et éprouve une immense tristesse.

Le Brésil puis Paris

Après l’expérience de l’école, elle se trouve un peu orpheline. Elle découvre de nouveaux langages comme l’animation numérique et les techniques interactives. Elle va au Brésil à l’université fédérale à Minas Gerais étudier ces techniques pendant deux ans. Elle dessine mais ne peint plus. Elle rencontre son mari, qui lui propose de la suivre en France. Sans but précis, elle s’installe à Paris. C’est une ville dont elle rêve et les musées la bouleversent. L’expérience physique des tableaux dans les musées nationaux la bouleversent: Bonnard, Matisse, Van Gogh, qu’elle connaît mais dont elle n’avait jamais vu un original. Le désir de peindre revient plus fort encore. La mixité des cultures dans Paris la frappe. Au lieu du gris qu’on lui avait annoncé, elle voit des couleurs.

Une autre de ses premières oeuvres.

Le sujet de l’intérieur s’impose

En Europe, à l’inverse de l’Amérique latine, l’espace privé n’est pas prioritaire. Les gens habitent des logements minuscules, mais la ville entière est à disposition: bibliothèques, musées, places, piscines… Son appartement de 33m2 au 5eme étage dans le 15eme arrondissement, pourtant honnête dans le contexte parisien, est un choc pour elle. Son espace intime est bouleversé. Elle commence une modeste série sur son quotidien. Elle trouve une nouvelle façon d’aborder la peinture dans la série 33m2. Elle rencontre Kazem Khalil. Il l’encourage et lui présente son galeriste. Ce n’est pas le réseau d’art contemporain. L’établissement du palais royal existe depuis 1959: la galerie Christian Siret.

Elle gagne le concours organisé et produit une première exposition en 2004. La bourse de son mari et le peu de tableaux vendus l’obligent à travailler comme graphiste. Au bout de deux ans, épuisée et malheureuse, sans arriver à vendre, elle décide de se donner une année pour revenir à la peinture et voir. Elle se rend en Espagne par amour pour Llorca, vers son andalousie natale à Grenade. La maison du poète la frappe. Elle se documente en y revenant plusieurs fois sur ses trois maisons: natale, celle où il a écrit, et la dernière avant son assasinat. Elle éprouve la nécessité de peindre ces lieux. Elle envoie des dossiers pour montrer son travail. Le salon de Montrouge la sélectionne en 2011.

La cocina de Federico, vue a le Salon de Montrouge.

Mais elle se sent en décalage avec la scène contemporaine, mais éprouve la nécessité de son propre travail tel qu’elle le produit. La sélection à Montrouge, salon de référence, la conforte dans son choix. Le dialogue est de qualité, et le directeur Stéphane Corréard et la critique Anaëlle Pigeat la confortent. Un groupe de critiques accompagne les artistes exposés. Les autres artistes sont par exemple David Ortsman, qui vit aujourd’hui à Marseille. Elle obtient le prix du jury. Clément Cogitore reçoit le prix du Salon, aujourd’hui réalisateur et artiste de renom. Pour la première fois, elle trouve un contexte où elle ne se sent pas en décalage et peut montrer son travail. C’est un tournant. Une exposition des lauréats est organisée au Palais de Tokyo.

Frida et Rosa

Sa situation familiale, elle est enceinte, et son mari, la poussent à retourner au Brésil fin 2011. Le pays a changé, elle aussi. Le Brésil lui apparaît misogyne et elle le vit mal au quotidien. Elle continue à travailler. L’année suivante, elle commence un projet sur la maison de Frida Khalo. La série sur Lorca était un précédent, mais Frida est un projet différent car la documentation est trop importante. Le poids mythique de la peintre se pose devant elle. Elle sidentifie à elle en tant qu’artiste et femme, mais le mythe, ou plutôt le cliché, est un obstacle qu’elle refuse absolument. La méthodologie sera différente donc. Elle entreprend un travail de recherche très poussé: les témoignages, les essais d’histoire, les archives sont son nouvel univers.

Se rompieron las horas, du projet Frida Khalo.

Les archives Kahlo mais aussi les collections de photos qui existent. Elle reconstruit dans ses pensées toutes les transformations de la maison de l’artiste, qui est très liée à sa vie. Kahlo est née et décédée dans la même maison. De nombreux travaux l’ont changée au cours du temps. Par exemple, elle a été peinte en bleu pour accueillir Trotsky. Sa chambre et son atelier étaient d’abord à l’étage, puis, à cause de sa condition physique, ont été transférés au rez-de chaussée. Le projet en rend compte. Ce projet la tient pendant cinq ans. La période est longue. Elle vit des choses très différentes: elle devient mère. Elle perd son père et divorce. Ces événements la marquent. Raconter l’histoire de la maison de Kahlo c’est aussi se projeter sur elle. Ces événements s’y retrouvent donc. Elle revient à la même période sur la maison de son enfance au Vénézuela, à présent détruite, et produit une série de peintures.

Le tournant : Ce que Frida m’a donné

En 2012 elle montre les peintures à l’institut français de Madrid puis à la galerie Dukan à Paris. Fin 2017 elle montre la fin de la série à la fondation Hermès de séoul. Un film est réalisé à l’occasion sur les cahiers que Rosa Maria a produits. Un projet d’exposition est évoqué, mais au vu de la complexité des cahiers, qui ont des collages et des ajouts, c’est à l’évidence impossible. Fin 2018 elle rencontre Laure Leroy des éditions Zulma, par l’entremise de Laure Saufenberger, graphiste. L’éditrice propose de faire un livre où serait racontée son histoire personnelle avec ce projet. Pas un livre sur Frida. Pas un catalogue. Un livre libre où Rosa Maria rendrait compte de sa relation avec la mexicaine. L’éditeur est plutôt spécialisé dans la littérature. Il s’engage pourtant avec elle dans cette édition hybride. Le résultat est complexe. Plusieurs lectures du livre sont possibles: sur la maison de Frida et son évolution, une lecture poétique pure, et une lecture plus orientée sur Rosa Maria et sa démarche personnelle. Elle qualifie l’expérience de difficile, car elle ne se vit pas comme écrivaine et se sent en décalage. L’accueil critique a pourtant été dithyrambique. De nombreuses invitations en librairie suivent et un public se crée. Bizarrement il n’y a jamais eu d’exposition de cette série de peintures à ce jour.

Hermès

En parallèle, Hermès lui propose un carré. Elle rencontre les ateliers de la marque française de renom. Un projet autour du cabinet de curiosité d’Émile Hermès émerge. Ce cabinet plein de milliers d’histoires la saisit. C’est le début du vingtième siècle et le cheval fait place à la voiture. Un monde disparaît. Elle fait plusieurs visites, accompagnée par Menehould du Chatelle. L’espace physique devient un espace imaginaire. Elle réalise un dessin qui donnera un carré Hermès. La collaboration avec Hermès la marque par la nécessité de travailler en équipe et l’exigence qu’elle relève dans les ateliers.

La Recherche

Projet “La Recherche” Photo: Gregory Copitet

En 2021, comme de nombreuses personnes qui habitent en île de France, elle se lance dans la recherche d’un nouveau logement. Cette recherche la touche doublement car sa maison est aussi le sujet de son travail d’artiste. La perversité de la société contemporaine la saisit à cette occasion: aucune réponse à ses demandes. Elle est artiste et n’a pas de fiche de salaire; elle est mère célibatarie là où les agences préfèrent les couples et leurs deux salaires; elle est migrante avec des papiers temporaires qui ne rassurent pas; enfin elle est artiste, chose peu bankable sur le marché du logement. Dans cette recherche elle découvre des situations inhumaines. En se documentant elle trouve des archives qui témoignent déjà de celà des décennies auparavant. L’Ukraine entre en guerre au même moment, et on se questionne sur la possibilité que la France le fasse aussi. On parle de guerre nucléaire. Rosa Maria est terrifiée et se demande si elle devra encore quitter un pays où elle se sent bien. Des propriétaires d’un appartement lui répondent positivement. Cette réponse la marque comme un témoignage d’humanité.

Un foyer est une révélation

L’appartement est une révélation pour elle: la résidence du grand air à Marly le Roy. C’est un ensemble exécuté à la fin des années 50 et qui part du principe de logements à prix accessibles dans des conditions humaines. Plus de quatre mille familles y vivent mais sans qu’on y soit oppressé. Les propriétaires lui font confiance. Elle découvre que le mari est français et la femme ukrainienne. Elle a la possibilité de se reconstruire. C’est le retour de l’espoir. Elle cherche à mieux connaître la culture ukrainienne, et les événements de Maidan en 2014. Elle voit un parallèle avec la violence du Vénézuela à la même période. Elle comprend la similitude entre deux peuples pourtant éloignés dans l’espace, dans un contexte historique très différent.

Projet “La Recherche”. Photo: Gregory Copitet

Elle découvre aussi la peinture Petrykivka, peinture traditionnelle ukrainienne décorative qui sert à habiller du mobilier ou des ustensiles. Il y a une fonction symbolique de chasser le malheur et de porter le bonheur dans une maison. Elle s’intéresse à cette peinture traditionnelle soignée faite avec des pinceaux de poils de chats. Un projet de peintures nommé “Recherche” voit le jour en trois parties: la première sur “L’impossible chez nous” sur l’inhumanité du marché du logement; une deuxième “Un possible chez nous” qui montrera des peintures des photos sur l’annonce de l’appartement qu’elle a trouvé, avec des fleurs de magnolias peint avec des pinceaux traditionnels achetés en ukraine; la troisième “Notre chez nous possible”, qui est faite d’images de l’appartement qu’elle habite avec une présence très forte de la nature, comme c’était déjà le cas chez elle au Venezuela.

Sébastien Planas
Realitzador nascut el 1975. Director del Filaf (Festival Internacional del Llibre d’Art i del Film) de Perpinyà. Membre del jurat de Cinema dels Premis El Temps de les Arts.

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