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Stéphane Corréard: l’art en général, et à Cadaqués en particulier

Dans sa famille, personne ne s’intéresse à l’art. A 13 ans, c’est en 1981, il découvre par hasard des tableaux modernes en vente publique. Il est sidéré. Comme si un ami des chiens visitait un chenil, avec les animaux qui hurlent pour qu’on les adopte, dit-il. Sa vie sera consacrée à l’art, mais il ne sera pas artiste: il le sait déjà. Ses tentatives de production sont des échecs car il se sent d’abord spectateur. Le mot qu’il utilise, c’est fan: il veut s’approcher au plus près des artistes et les voir travailler, évoluer, créer. Par tempérament il ne supporte pas qu’on guide ses choix. Son indépendance lui est chère. Alors il doit trouver des positions professionnelles qui lui permettent l’accompagnement d’artistes dans la plus grande liberté.

Lors de la première guerre du golfe, le marché s’effondre et les artistes ne vendent plus. Au pire moment, il ouvre sa première galerie: Météo. C’est à Nice, à la villa Arson, qu’il trouve ses premiers noms. Il rencontre Jean Luc Verna, Philippe Ramette, Tatiana Trouvé et Michel Blazy, entre autres. Il cherche des artistes avec pour règle d’être attentif aux attraits des jeunes pour les travaux d’artistes plus anciens, et réciproquement. Par capillarité et au gré des rencontres, d’autres se greffent. Pour lui le plus grand critique, celui qui le marque, c’est Bernard Lamarche-Vadel. L’aventure est collective, et les décisions elles aussi sont collectives. Les contraintes financières sont fortes et les ventes sont rares. A la fin des années 90, le marché repart et les artistes qui marchent s’en vont vers des galeries plus solides, aux Etats Unis par exemple. Tenir devient impossible. Météo s’arrête en 2000. Il en retient des rencontres et des projets communs. Un peu d’amertume sur le marché des artistes vivants.

Critique Opérationnel

Il se veut “critique d’art opérationnel”. Le texte, dans une démarche critique, c’est la cerise sur le gâteau. D’abord, dit-il, parce que personne ne le lit, à commencer par les artistes, et qu’on reste sans retour. Le critique est d’abord l’avocat des artistes, il trouve des lieux, favorise des rencontres pour des ventes, porte des projets. En 2000 il se tourne vers des emplois plus rémunérateurs, dans le domaine médical, même s’il continue à être actif dans la presse (Beaux arts magazine, Libération). Il intègre le comité du journal Particules avec Gaël Charbau. Parler d’art comme on le fait entre amis, y compris si c’est polémique, voilà leur ambition.

Montrouge

Puis il prend la tête du salon de Montrouge en 2009. Pendant sept ans, il reçoit des milliers de dossiers d’artistes souvent inconnus. Il travaille avec une nouvelle génération et cherche à promouvoir la diversité des parcours comme des origines. Ce sont cinq cent artistes qui y sont exposés, dont certains sont aujourd’hui le haut du pavé de la scène nationale. On y voit Pierre Seinturier, Clément Cogitore ou Nazanin Pouyandeh. Les générations se mélangent. Il met en relation les artistes avec des commissaires et des critiques qui adhèrent à leur démarche. Des liens se nouent pour se défendre mutuellement. En 2017 il jette l’éponge, souhaitant passer à autre chose.

Retour aux affaires

Avec Hervé Loevenbruck, chez qui il a déjà exposé des artistes comme Edouard Levé ou Frédéric Pardo, il ouvre une galerie: ce sera Loeve&co. On est en 2018. Il y défend aujourd’hui encore la scène française, avec une attention particulière aux artistes disparus et injustement oubliés. Des années auparavant il écrit un article titrant “Un bon artiste français est un artiste mort”. Il y souligne les choix très restreints des institutions françaises dans la multitude des bons artistes en France. Il vit comme une injustice l’ignorance à l’égard d’excellents artistes en fin de vie ou disparus. Il remarque: quand on entre dans la galerie, on ne sait pas si les œuvres datent d’hier ou d’il y a cinquante ans. Les œuvres dialoguent avec le monde actuel. Un artiste, il dit, c’est quelqu’un de mystérieux car quand on l’approche, il te ressemble. Il vit comme toi, mange avec toi et dit des blagues nulles parfois. Mais là où tout change, c’est que pour une raison que l’on ignore, il a une capacité singulière à transformer sa pensée en matière. Dans les salles de ventes, on découvre des artistes comme des ovnis. On voit aussi les fluctuations de la mode et ça vaccine contre les engouements généraux, qui durent au final peu de temps. C’est pour cela qu’en tant que critique il n’hésite pas à produire des commentaires négatifs, à ferrailler contre des opinions générales qu’il juge académiques. Ce qui lui a coûté des amitiés dit-il.

Les rencontres à Cadaques

Depuis quatre ans, il passe en famille ses étés à Cadaques. Sa proximité avec le festival filaf à Perpignan l’a amené naturellement à s’y rendre, et à trouver là bas l’écho de sa passion pour l’art. A la fois il y trouve le passé à travers Dali, Duchamp et Hamilton, et le présent avec de nombreux autres. Le mythe de Cadaqués, il le connaît à travers les écrits de Dali. A Paris, le groupe d’artistes catalans autour de Rabascall lui avait déjà fait miroiter l’importance de l’art de ce lieu. Il parle de Dorothée Selz et de ses Buffets sculptures produits avec Antoni Miralda, et dont il a été l’assistant de la production lors de leur exposition chez Lara Vincy. À Cadaqués il découvre la Galeria Cadaquès, reprise par Huc Malla. Hamilton et Roth ont toujours travaillé lorsqu’ils logeaient au village, ils ont toujours produit : disques d’aboiements, cendriers Richard…

Corréard et Vicenç Altaio

Les vacances d’été n’ont pas de sens pour les artistes, dit-il. Bombelli a fait partir à Duchamp des briques de Cadaqués pour finir Etant Donnés à Philadelphie. Encore aujourd’hui il croise des cinéastes comme Albert Serra, des peintres comme Francesc Ruiz-Abad, des poètes comme Vicenç Altaió ou Eduard Escoffet. Quand il s’installe pour la première fois, il découvre avec Huc Malla que Munari, son artiste favori (il a appelé son fils Bruno) a exposé à la Galeria. L’autre lui dévoile la profondeur de l’histoire du lieu et plus largement du village. L’exposition rétrospective de l’été 2023 l’impressionne par le rythme de plusieurs expositions par mois. La visite des galeries est intégrée à la vie du village.

Nord-Sud

Les liens avec Paris lui semblent cependant distendus. Tout le monde a les yeux rivés sur New York. Il est loquace quand on le lance sur le sujet, et analyse volontiers le manque de visibilité des artistes français à l’étranger. L’attirance des espagnols pour Paris a baissé. Mais les choses peuvent changer. Pour lui, la vraie différence entre les artistes européens et les américains c’est que pour les premiers, l’œuvre est riche, complexe et il est nécessaire d’envisager la diversité des productions pour les comprendre, là où l’amérique produit de la répétition. Il emprunte l’analyse à Lamarche-Vadel, qui parlait d’un art du logo. Aujourd’hui il craint un repli identitaire. Si les français s’étaient mieux serrés les coudes avec les catalans, les choses se seraient peut-être mieux passées. L’alternative à la domination de l’art par le luxe aujourd’hui, c’est Cadaqués dit-il pour simplifier. L’art et la vie y sont profondément liés. On y est désintéressé, amical. L’art est magique quand il transforme la vie.

Sébastien Planas
Realitzador nascut el 1975. Director del Filaf (Festival Internacional del Llibre d’Art i del Film) de Perpinyà. Membre del jurat de Cinema dels Premis El Temps de les Arts.

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