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Clément Cogitore : le “ brouillage des cartes”

Il est l’un des réalisateurs les plus expérimentaux du cinéma français et sa visibilité internationale ne cesse de croître. On peut aussi considérer le lauréat du prestigieux prix Marcel Duchamp 2018 comme un des artistes français, dits plasticiens, qui utiliserait le cinéma comme medium dans des institutions et des musées. Clément Cogitore est inclassable. Révélé par son long métrage Ni le ciel ni la terre, il construit patiemment une œuvre où l’image est au centre de ses préoccupations.

On y croise des mystères ou des fantômes, à la limite de la rationalité, des disparitions ou des apparitions, d’êtres et de lieux, comme dans l’exposition Ferdinandea, à Naples. Au tournant de la quarantaine, Clément Cogitore voyage beaucoup, comme la plupart des créateurs aujourd’hui. Nous avons pu lui parler entre deux avions, revenant de Corée, allant en Allemagne. Il a été question de son exposition en cours à Naples et de son dernier film, Goutte d’or, qui circule dans les grands festivals, et qui sortira en 2023.

Votre œuvre est multiforme, on y trouve des films bien sûr mais aussi des éditions, des photos, des performances… Qu’est-ce qui fait l’unité de vos travaux? Dans quelles recherches vous retrouvez-vous?

C’est difficile à dire vu de l’intérieur. Je crois qu’on retrouve souvent des brouillages dans mes propositions. Il s’agit de rebattre les cartes, de donner un élan de désorientation à nos certitudes, en particulier à notre perception du réel. Les choses ne sont pas en face de nous, réelles et solides. Il s’agit donc de s’y affronter. Par exemple, la mémoire bouscule notre rapport au réel. Parfois on ne sait pas ce qui est réel dans nos souvenirs ou pas. Et ce qui ne l’est pas peut le devenir, à force d’y repenser. Dans l’enfance nous éprouvons souvent ce sentiment. Mes films jouent de cela.

Image de Ferdinandea.

Ces thèmes se retrouvent par exemple dans l’exposition à Naples, cet été, au musée Madre?

Oui, cette exposition reprenait l’histoire de l’île Ferdinandea qui a émergé au large de Naples au dix neuvième siècle, et qui a ensuite été submergée par les eaux. C’est un vrai mystère de la nature, mais c’est aussi l’occasion pour l’esprit de fantasmer et de douter des choses. L’exposition se déployait à travers des archives et des films comme des photographies incluant des témoignages mais aussi un travail personnel. Il y avait quelque chose de très immersif dans cette histoire, à travers les traces et les espoirs que l’émergence d’un lieu peut occasionner. Les terres nouvelles ne sont pas nombreuses. Cette île peut réapparaitre aussi. Cela a un potentiel poétique très fort.

Dans le domaine du cinéma quelles sont vos influences? Qui vous a marqué?

J’ai beaucoup été marqué par Tarkovski. Par ailleurs, la première fois que je suis allé à Cannes, il y avait Honor de Cavalleria de Albert Serra, qui m’a saisi. C’est un réalisateur qui a à peine quelques années de plus que moi, mais je le considère comme un de mes repères dans ce domaine. Apichatpong Weerasethakul est aussi un bon exemple d’artiste naviguant entre cinéma long métrage et expositions dans des musées. Son œuvre est puissante et complexe. J’ai été formé à des choses techniques aussi, au Fresnoy notamment, mais la technique change tellement vite. Lorsque j’ai besoin de choses spécifiques selon les projets, je m’entoure différemment.

Ferdinandea, Film 1.

Est-ce que vous vous nourrissez d’influences dans d’autres domaines? La littérature ou la musique?

Je ne rate jamais la sortie d’un livre d’Emmanuel Carrère. Des amis écrivains me conseillent, et me guident dans mes choix. C’est de la porosité. J’ai découvert cet écrivain New Yorkais Isaac Bashevis Singer, dont je me suis pas mal nourri. J’aime également beaucoup Ludmila Oulitskaïa. En matière de musique j’écoute des choses assez expérimentales, comme Toni Conrad. Je vais aussi vers de la musique ancienne, comme les suites pour violoncelle de Bach.

Jamais de pop dans vos playlists?

Si bien sûr! (rires) Il y a Diamonds de Rihanna, que j’écoute régulièrement.

Vous êtes enseignant à l’Ecole nationale supérieure des Beaux arts de Paris. Que vous apporte ce contact avec les jeunes artistes?

Beaucoup d’énergie! Je vois des individualités très fortes, et des projets singuliers. L’enseignement dans cette école m’apporte beaucoup. Je guide les étudiants dans mon atelier, qui est orienté vers l’image et la vidéo. Mais réciproquement ils me nourrissent aussi. Il y a une grande créativité dans la jeunesse.

Photograme de Goutte d’Or @Kazak Production, MK2 International

Comment voyez vous la place de Paris dans l’univers de l’art et du cinéma?

Paris est une place de premier plan, et tend à s’imposer de plus en plus. Il y a un vrai marché et les villes comme Berlin ne sont plus aussi bon marché qu’à une certaine époque pour les artistes qui s’y installent. Le rôle de l’Etat est central en France et il y a des soutiens importants à la création, beaucoup plus qu’au Royaume Uni par exemple où la situation est compliquée. Enfin les institutions sont nombreuses et portent des expositions et des projets ambitieux. Celle de PIerre Huygues il y a quelques années à Beaubourg a été marquante. L’exposition de Anri Sala à la Bourse du Commerce, la Fondation Pinault, est un bon exemple en ce moment.

A voir le film Goutte d’Or, sortie en 2023.

Sébastien Planas
Realitzador nascut el 1975. Director del Filaf (Festival Internacional del Llibre d’Art i del Film) de Perpinyà. Membre del jurat de Cinema dels Premis El Temps de les Arts.

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