Max Wyse à la Galerie du FILAF
du 15 Septembre au 5 Décembre 2021
Galerie du FILAF, place Guetry, Perpignan, France
www.maxwyseart.com
« Si les portes de la perception étaient nettoyées, chaque chose apparaîtrait à l’homme telle qu’elle est : infinie. Car l’homme s’est refermé sur lui-même jusqu’à considérer toute chose par les brèches étroites de sa caverne ». Cette citation connue du poète anglais William Blake introduit sans détour aux images de Max Wyse.
L’artiste nous propose des surfaces dessinées ouvrant sur des mondes où la représentation des choses apparait comme non-euclidienne. Infinis, répétitions, chaque image semble être la face d’un hypercube, cette forme géométrique œuvrant dans plusieurs dimensions spatiales. Bien au-delà de ce que nous permet l’expérience de notre quotidien, un système spatial en trois dimensions. Les mathématiques nous permettent d’envisager un nombre supérieur de dimensions, pour autant, en avoir la perception reste hors de notre portée. Sauf peut-être dans le travail de Max Wyse, qui fait vivre les mots de Nicolas de Cues sur l’infinité de l’espace au travers de ses dessins : l’univers est un cercle dont le centre est partout et la circonférence nulle part. Si la réalité et ses ombres sont notre caverne, de quels mondes proviennent ces objets réels que l’artiste nous donne à voir ?

Max Wyse présente à la galerie du Filaf deux séries de dessins, une en noir et blanc et l’autre dans des tons pastels. Les formats carrés rappellent immédiatement ceux d’une pochette de disque vinyle semblant venir de la musique électronique ou psychédélique. Les motifs se répètent, se reforment, se réemploient, des semblants de sols et de murs contiennent ces mondes en soi. Ces collages dessinés distribuent des rythmes hétéroclites, pulsent des symboliques allotropiques dans autant de directions que la perception humaine peut en accepter. L’équilibre se perd et l’orientation vacille. Il faut surement s’aider du travail d’Herbert Bayer, qui développe dans Fundamentals of Exhibition Design (Inclusive Picture of All Possibilities, 1937) les possibilités de visualisation des images dans un espace, pour aborder l’œuvre de l’artiste.

Max Wyse garde de ses années de musique électronique un gout singulier pour l’essence même de ce genre musical, le sample. Construisant ses dessins en répétant, déformant et distordant des images, des lignes de fuites, il avance au fur et à mesure, guidé par le seul chemin déjà entamé, comme une performance improvisée. Des raves et des warehouse qu’il faisait à Vancouver à son atelier à Perpignan, les mix qu’il produisait ont changés de médium et de temporalité. Ils se sont allongés en passant de quelques heures à quelques semaines. Son usage de l’image découle de sa pratique de la musique. Comme une recherche du moment de transe, l’artiste semble travailler jusqu’à un moment de déhiscence, où l’inconscient surgit, libre, côtoyant le conscient dans la pratique. Cet instant, appelé Einfall dans l’analyse freudienne, est ce qui surgit, ce qui vient incidemmentlorsque le discours se libère des contraintes et des censures du monde extérieur comme du monde intérieur. Il nous livre ainsi un accès à des mondes complexes et denses. Chaque dessin semble presque multiple, comme une matrice fractale où se répètent des formes, des figures et des points de fuites. Ses compositions le rapprochent d’artistes comme Martha Rosler (Bathroom Surveillance, or Vanity Eye, 1966-72) ou d’Eugenia Loli (série Three minutes to nirvana, 2013).

On pourrait se demander s’il pratique son dessin portant les filtres Auto-Vision de Karl Gerstner (1962-63) ou s’il s’imprègne de quelques longues minutes de Stephen Beck (Video Weawing, 1976) avant de se pencher sur sa feuille. Car lorsque l’on regarde les dessins de Max Wyse, une sensation de tournis nous attrape, et plus nous pénétrons dans ces plans imbriqués, plus le rapport d’échelle et les perspectives déroutent l’oreille interne. Comme une rencontre dans un trip hallucinatoire entre Hans Vredeman de Vries et M.C. Escher (Another world II, 1947). Les visions s’annulent ou se répondent, donnent dans un endroit une autre stabilité qu’à quelques cillements d’à côté. On se perds, on se retrouve, au pied d’une limace, dans les bras d’un flamand rose. On navigue dans une vidéo de Peter Callas (Night’s High Noon: an Anti-Terrain, 1989), dans le Global Groove de Nam June Paik (1973) ou dans certaines spot MTV des années 80. On recherche la présence de Don Juan, car cette traversée visuelle s’approche fortement d’un voyage avec l’herbe du diable décrit par Carlos Castaneda ou d’un trip sous mescaline avec Aldous Huxley.

Dans les œuvres en noir et blanc, l’utilisation d’un feutre noir fin évoque la bande dessinée, ces planches prête à la colorisation et dont les collectionneurs raffolent. Le travail de Max Wyse pourrait se situer au cœur d’un mix qui réunirai le psychédélisme de Jean Giraud (Moebius) et les architectures de François Schuiten. Le rapport à la ligne, répétitive, dense et stroboscopique font échos aux dessins à l’encre de chine de Nicolas Aiello (Melancolia, 2015). Les tons pastels des dessins en couleurs indéfinissent le rapport au temps, mêlant en un coup de pinceau une cinquantaine d’années d’influences picturales par un aspect délavé.

Néanmoins, le champ esthétique de l’artiste le porte bien plus loin qu’un simple trip hippie, et c’est même à contrario car il réadapte un Pop art assaisonné avec l’électro des année 90. Mais l’artiste pousse le principe plus loin encore en s’appropriant et renversant le principe de la musique concrète appliqué aux images. Il prend des images du réel et les emmène jusque dans leurs réinterprétations, leurs réassemblages. L’art du sample fait d’extraits de magazine, d’images glanées à l’occasion, de mise en scène parfois, puis retravaillés par le dessin. C’est ce qui donne cette touche particulière, alors que les outils technologiques lui permettraient d’effectuer ses œuvres dans une logique plus productiviste, Max Wyse choisit la part vivante et fragile de la pratique artistique. Cet aspect est particulièrement notable sur les œuvres en couleurs, que l’on croirait sorties d’un atelier de sérigraphie. Ce rendu est possible par la technique utilisée, l’artiste peint à l’envers sur du plexiglas et dispose ensuite cette plaque sur un support de bois. C’est dans le détail qu’apparaissent les touches propres à une réalisation manuelle. Les tracés, quelques accidents, les variations colorimétriques, des petits instants sur la surface du dessin qui nous rappelle le travail artisanal et le distinguent de toute fabrication mécanique, de tout usinage. Cette invitation à l’exploration d’un tracé manufacturé est éminemment captivante alors que nous naviguons a fière allure dans cette fameuse troisième révolution industrielle.

L’exploration des mondes multipolaires et manufacturés de Max Wyse se fait ressentir comme un visionnage de Malice in Wonderland (Vince Collins, 1982) ou de la Montagne Sacrée (Alejandro Jodorowski, 1973), un flux continu de motifs symbolique qui assaillent l’œil et l’esprit. Le retour au réel, si tant est qu’il soit possible, demande un temps de réadaptation, de réapprentissage, comme un retour aux ombres.