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Lucie Rico, deux romans, et déjà loin devant

En deux livres seulement l’écrivaine a conquis le devant de la scène littéraire française. Traduit dans plusieurs langues, son premier opus, Le chant du poulet sous vide a mis en avant les qualités de son style, fait de transgression imaginaires et de prise de risque stylistique. Dans son nouveau livre GPS, Lucie Rico joue avec les fanstasmes inédits que produit la numérisation de nos existences. Elle y décrit une sorte de fantôme, sous la forme d’un point rouge se déplaçant sur un écran. Entièrement écrit à la deuxième personne du singulier, le roman frappe en plein mile. Nominée sur différentes listes des prix de la rentrée parisienne, Lucie Rico, jeune maman, joue le jeu de la promotion d’un livre, dont elle nous livre ici des éléments de sa création, et plus largement, de son processus créatif.

GPS est sorti il y a quelques semaines et on le voit partout. Que faites-vous en ce moment?

Je prends le train. Je parle de mon livre. On m’a volé mon téléphone, comme dans mon livre. J’ai éprouvé ce que serait une semaine sans gps, et je me suis rendue compte que ce n’est pas simple de vivre sans. C’était difficile, parce que j’écris mes livres sur le téléphone aussi. J’écris un peu partout, dans les transports, ou au restaurant. C’est difficile aujourd’hui de vivre sans téléphone! Mais comme on me l’avait déjà volé, j’ai des parades, et rien n’est enregistré dessus. Je m’envoie des mails à moi-même. J’en fais dix par jour: je me dis que cette phrase irait bien ici etc. Chaque écrivain a sa technique, moi ça me va bien.

Comment écrivez-vous vos romans? Êtes vous une écrivaine du premier jet?

Pas du tout. La proportion entre écriture et réécriture est énorme. Une phrase écrite sera réécrite dix fois. Je vais jusqu’au bout, là où je n’en peux plus du texte. Le Chant du poulet sous vide, je ne pouvais plus rien faire dessus. Et aujourd’hui même, si on me le demandait, je ne pourrais pas aller plus loin. J’ai été tentée à cause des rééditions, mais le risque est de tout réécrire. Il faut laisser comme ça donc, et passer à autre chose.

Vous commencez à être traduite dans différentes langues: est-ce une nouvelle étape pour le texte?

Les traductions sont intéressantes. Au final je préfère ne pas donner mon avis, et laisser faire le traducteur. Apparemment, c’est compliqué de me traduire. Avec la traductrice anglaise, on a beaucoup parlé. Je travaille beaucoup sur le rythme, et la sécheresse, en français. La manière de nommer aussi. Par exemple, le poulet Paul change de prénom dans les autres langues. Le titre anglais est très différent aussi, qui joue sur malsain et volaille. Sinon c’était intraduisible. Ça va sortir en Angleterre et aux USA. Ça sort en Bulgarie, en Suède et au Danemark. Je vais y aller, et en parler. Je le fais volontiers avec plaisir, même si le livre est déjà loin.

Comment diriez vous le teaser de GPS?

C’est une rédactrice de faits divers dans un journal, qui est au chômage. Son amie Sandrine lui demande de venir à son mariage. Pour la convaincre, elle partage sa position numérique, puis disparaît. C’est un thriller. L’histoire d’une disparition et d’une enquête.

C’est écrit à la deuxième personne, ce qui est étonnant au début, un vrai effort de style. Peu de livres le sont.

Le TU est dû à la réécriture. Ça a été JE, puis IL, troisième personne. A chaque fois, j’ai tout réécrit.

Tout?

Tout (rires).

Et puis?

Puis j’ai essayé TU. Je n’ai trouvé la voix qu’à la deuxième personne, qui donnait un effet panoptique de surveillance. L’effet du tu est saisissant. On ne sait pas à qui ce TU est adressé. C’est un tu inquiétant. On ne sait pas qui parle et c’est troublant. Comme la chanson de Claude François Magnolia qui est dans le livre. D’ailleurs, à un moment il y avait trop de magnolias, j’ai dû en enlever.

Lucie Rico @Sébastien Planas

Quels passages sont les plus difficiles à écrire?

Les descriptions sont un défi. C’est un livre de descriptions mentales et numériques, ça a donc été difficile. C’est ce que j’ai le plus de mal à faire. La difficulté est de rendre vivante une description dans une action. Il n’y a pas d’astuce, malheureusement. Il faut s’y coller. Par exemple, je cherche ce qui m’étonne dans les paysages, car je regarde peu les paysages. Je viens du scénario (cinéma et séries) et il n’y a jamais besoin de décrire parce qu’on verra les choses à l’écran. Dans les livres, c’est tout le contraire.

Pensez-vous au lecteur?

Je me pense moi-même comme lectrice Je veux avoir le plaisir de lire le texte. Je n’aurais jamais fait ça la première fois à l’écriture. Il n’y avait pas d’autre solution que le point de vue du tu. Le lecteur va être déstabilisé, je sais que ça sort des clous, mais au final la réception est facile.

Est-ce une sorte d’alerte sur la numérisation de la société?

Le livre est né de Fenêtre sur cour, d’Hitchcock. Aujourd’hui c’est le même mouvement qu’hier, numérisé, mais c’est la même pulsion du regard. Le sujet dans le livre, au final, c’est plus le chômage, qui conduit le personnage à la surveillance. C’est un livre sur le travail et l’amitié, et la disparition aussi bien sûr. Le numérique est une façon d’accéder aux autres, très courante, “infraordinaire” au sens de Perec.

Lisez-vous pendant l’écriture?

Oui et cela ne m’influence pas. Soit j’admire et c’est au dehors de moi, je ne suis pas assez sûre de moi pour le faire. Soit ça ne me plait pas, et c’est pareil. Une fois que j’ai la “voix” de mon texte, c’est un rapport ludique à l’histoire qui s’instaure. Mes phrases sont courtes et loin d’autres auteurs. Pendant l’écriture de GPS j’ai lu beaucoup de choses.

Bolaño?

Oui. J’aimerais écrire quelque chose de fangirl sur lui, pas un article. Je vais commencer une thèse. J’ai du mal avec les formes courtes comme les articles. Bolaño sera dans ma thèse. Le sujet c’est la procrastination comme manière de travailler le texte. Comment tourne t-on autour du sujet et le diffère t-on? J’y parlerai de Sophie Divry, d’Olivier Cadiot et d’Emmanuel Carrère. Littérairement ça me déchaîne même si c’est loin de moi. Je lis ces choses, mais je ne suis pas là.

L’époque est-elle littérairement riche? Aurais-tu aimé croiser Perec et Sartre ici (Odéon)?

Sartre non, je n’aime pas trop. Je ne le lis pas. Perec j’aime beaucoup mais je ne sais pas s’il faut croiser les auteurs.

Avec votre GPS vos biographes sauront tout de vos déplacements?

(Elle montre son bilan mensuel Google, ndlr). Ils me l’envoient, ils n’ont pas honte. C’est un mouchard. Mais il se trompe. Il est incorrect. Il me dit que je suis allé au parc Dupin, à Rennes, mais je ne m’en souviens pas du tout J’ai du passer à côté. Il suppose que j’y suis allé. Les erreurs sont intéressantes. En août 2022 j’avais déjà parcouru 52% de la circonférence de la terre.

A Lire:
GPS, 2022, POL éditions.
Le chant du poulet sous vide, 2020, POL éditions.

Sébastien Planas
Realitzador nascut el 1975. Director del Filaf (Festival Internacional del Llibre d’Art i del Film) de Perpinyà. Membre del jurat de Cinema dels Premis El Temps de les Arts.

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