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Mrzyk et Moriceau à Sérignan: comme une rétrospective mais pas une rétrospective

Petra Mrzyk et Jean-François Moriceau, qui travaillent aujourd’hui exclusivement en duo, se rencontrent en première année aux beaux-arts de Quimper, dans les années 90. Ils forment depuis lors un couple. L’école est minuscule, les niveaux sont mélangés. 80 élèves au maximum. Leurs professeurs sont Hervé le Nost, Nasser Bouzid en sculpture, ou Jacques Guimet en culture générale. Ils apprennent à ne pas les écouter et deviennent indépendants. Ils profitent des ateliers. Les professeurs sont tolérants et ouverts. Moriceau produit de la pâte à moisir dont il enduit les murs. Devant les risques sanitaires il doit arrêter. Le professeur de dessin lui reproche de ne pas assez pratiquer. Ils côtoient Morgane Tschiember et Erwan Bouroullec qui sont dans l’école. Ces derniers partiront ensuite étudier à Paris. Petran peint et dessine déjà avec de l’humour.

A Nantes, ensuite, ils sont inscrits en troisième et cinquième année. Jean-François ne suit pas vraiment les études. Il travaille au Frac, où il participe au montage d’expositions, ce qu’il trouve plus intéressant. Pour lui, les études sont trop longues. Petra travaille aux ateliers de Saint Nazaire, dans le cadre de résidences d’artistes. Elle prépare notamment les repas. Ils se mettent à dessiner ensemble, pour des raisons économiques. Une petite édition de leurs travaux, le Trois fois plus, est envoyée à quelques personnes du monde de l’art.

Comment tout a commencé?

Le départ est la rencontre d’Alexis Vaillant, commissaire d’expositions indépendant, qui a reçu le Trois fois plus. Il les invite à exposer en Allemagne au musée de Wiesbaden. Ils rencontrent Marc Teissier du Cros, du label Record Maker. Le duo réalise en 2002 le clip Don’t be light pour le groupe français Air. Ils entrent dans la galerie Air de Paris et multiplient les expositions collectives (galerie Adn Barcelone par exemple) ou individuelles partout dans le monde. Ils enchaînent aussi les résidences: PS1 à New York, la Villa Arson à Nice.

L’exposition au MRACS Sérignan

Discours de la méthode sans méthode.

Ils affirment ne pas appliquer de méthode. Ils échangent, dessinent, sont d’accord ou pas. Le dessin entraîne des idées et des envies, en écoutant de la musique, qu’ils perçoivent comme un grand stimulant. Questionné sur ce qu’il écoute, Jean-François Moriceau dit en ce moment être à la recherche d’un bon album, un album tellement bon qu’il ne le lâcherait pas durant des semaines. Sans succès. Ils maintiennent un fort rythme de production. Ils disent que c’est naturel. Aujourd’hui, ils en ont des tonnes. Petra est récemment passée à la céramique pour alterner. Poster sur instagram les stimule. On demande des choses précises, et Jean-François dit crayonner dès le premier café du matin car il aime les moments où l’esprit n’est pas encore tout à fait lucide. Le soir aussi, à l’heure de l’apéritif, avec une bouteille de vin, ils dessinent tous les deux avec beaucoup de plaisir. Très tôt, ils ont aimé la production de Fabrice Hyber. La bd pas tant que ça. Les films, ils promettent d’envoyer bientôt une liste (ndlr). Topor et sa Planète sauvage reviennent à leur esprit. Les génériques de Folon, et ses personnages volants aussi, comme une madeleine.

Oeuvre de Mrzyk et Moriceau, un univers à la fois naïf et ironique.

L’exposition de Sérignan, basée sur un vrai voyage imaginaire.

Pour Sérignan, à l’invitation de Clément Nouet, le défi a été d’investir l’espace. Ils produisent une centaine de paravents pour remplir l’espace. Tout est amovible. Ils pourraient chaque semaine changer la configuration d’exposition. Pas de cimaises, rien n’est définitif ni lourd. Pour les paravents, ils passent en revue leurs anciens dessins, car rares sont ceux qui peuvent s’adapter à ces supports. Ils fabriquent eux-mêmes les panneaux de bois, et ont du mal à s’arrêter tant la démarche, disent-ils, est jouissive. Ils découpent et peignent eux-mêmes. Le fait main est important pour modifier instantanément des couleurs ou des choix.

L’exposition des six cent dessins n’a aucun ordre chronologique. Elle couvre vingt ans de travail. Les papiers sont juste punaisés aux murs, dans un effet de proximité compacte. Il y a beaucoup à voir et on doit revenir. L’exposition est très généreuse. Les artistes disent éliminer beaucoup de pièces et jeter. Entre le brouillon et le dessin final, ils comptent souvent dix étapes intermédiaires. On voit des renvois, des ressemblances d’un dessin à l’autre, des dessins changent de format.

La vision artistique singulière de Mrzyk et Moriceau.

Sur plus de 400 m2, les deux artistes ont choisi de développer un projet dont la cohérence vient d’un récit qu’ils nous donnent dès le début. Lors d’une (supposée) résidence en Jamaïque un taxi qui est aussi chamane leur prédit de grandes choses, dont celle de se mettre à dessiner avec une scie sauteuse. Le récit continue et différents personnages, vieille dame ou loueur de ska, interviennent pour annoncer leurs visions étranges, que le travail des artistes va devoir déployer ensuite. L’espace de l’exposition est en effet parsemé de cloisons comme des paravents, disposés de façon aléatoire, et devenus support de dessins des artistes.

On y retrouve leur univers à la fois naïf et ironique, teinté d’humour et de critique existentielle. Ici, sur un fond de paysage lugubre et obscur, d’immenses doigts faits de terre et sur lesquels poussent des champignons tiennent une forme ovoïde comme un miroir; là un tressage de le lignes fait penser à d’innombrables cheveux saturant le support. Ailleurs, des allumettes à taille humaine sont à demi consumées. A nos cotés des enfants passent dans l’exposition qui ont de suite compris l’enjeu du labyrinthe. Dans certains recoins créés ainsi on trouve des céramiques. Cette technique adoptée depuis deux ans environ leur permet de décliner en trois dimensions les éléments nés dans les dessins: des moules qui fument des cigarettes, des palmes sebago, ou, au fond, un espace écran-télécommandes. Sur les murs, punaisés, six cent dessins, évidemment impossibles à énumérer.

Une porte vers l’imaginaire.

Les artistes nous confient avoir voulu produire une exposition généreuse, et même impossible à saisir dans son ensemble. Les formats tournent autour du A4 et on retrouve des thématiques qui se font écho: religion, sexe, animaux, mobilier impossible, mort. Faussement naïfs, ces dessins sont le cœur de leur travail. On y retrouve depuis trente ans des obsessions ludiques dont on se demande parfois comment ils parviennent à leur donner autant d’élan. On ne quitterait pas la salle dont pourtant on avait dès le début le sentiment qu’elle prolongeait sans rupture d’autres expositions du couple. Coup de cœur assuré.

Aujourd’hui ils travaillent sur un long métrage. Ce sera une adaptation de Ziggy Stardust de Bowie. Ils croisent les doigts pour que les planètes s’alignent et permettent sa création au cinéma.

Au MRACS Sérignan jusqu’au 14 septembre.

Sébastien Planas
Realitzador nascut el 1975. Director del Filaf (Festival Internacional del Llibre d’Art i del Film) de Perpinyà. Membre del jurat de Cinema dels Premis El Temps de les Arts.

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