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Malgorzata Mirga-Tas: le réveil réjouissant des artistes gitans

Le travail de Malgorzata Mirga-Tas, exposé au pavillon polonais de la Biennale de Venise, ce n’est rien de moins qu’une fresque d’histoire, hommage à la communauté Rom et à son passé, depuis ses origines. C’est aussi un tableau de scènes de vie quotidenne, sous différentes formes, témoignant du vécu de cette communauté. Un zodiaque est aussi présent, séparant les deux frises, immense. La thématique montre partout la place centrale des femmes dans la communauté rom, loin des clichés paternalistes: les femmes sont omniprésentes et puissantes dans ces représentations. L’utilisation quasi exclusive de la broderie, technique un brin anachronique, mais aussi à forte connotation féminine, n’est pas la moindre des provocations de la gitane. Enfin, l’ampleur de la tâche, l’occupation de l’espace non négligeable du pavillon, et de ses murs, y compris extérieurs, montre la maturité du projet mené par l’artiste mid-career.

Dès l’entrée, le texte mis à notre disposition marque par sa forte teneur intellectuelle. Le projet est décrit comme une référence à Aby Warburg, dont le concept de Nachleben, vie des images après leur vie, a pour origine les cycles du palais Schifanoia. A l’évidence, l’artiste rom souhaitait marquer le territoire intellectuel, et ne pas être réduite à son rôle communautaire, ni encore moins, comme on a pu le faire, à de l’art brut. Par ailleurs, le titre (réenchanter le monde) est dit être tiré d’un livre de Silvia Federici, portant sur le féminisme et la politique du commun. Ici, Mirga-Tas compte bien s’insérer dans le mainstream des artistes occidentaux, y compris leurs débats les plus courants, tout en représentant sa communauté. On entre dans la pièce principale.

L’impression de monumentalité est accablant. Trois longues frises se développent et recouvrent entièrement les murs, jusqu’au plafond, et épousent méticuleusement les poutres en haut. La fris du bas est la plus large. C’est celle qui décrit la vie quotidienne. Celle du milieu, la plus étroite, reprend avec une analogie formelle frappante le zodiaque du Palais de Ferrare. Celle du haut, moyenne, est chronologique et reprend la légende de la migration des Roms depuis l’Asie.

La legénde des roms

En haut, la légende Roms se déploie. Comme ailleurs, des mythes oraux des origines donnent ici lieu à des représentations fantasmées. A l’évidence, il s’agit de voyages à cheval et à pied, d’histoires de rencontres, et de certains combats. Les animaux, chevaux et chiens accompagnent les convois avec fidélité, et la symbolisent. L’artiste alterne des espaces d’aplats et d’autres beaucoup plus détaillés, à partir de sa technique de patchwork, de tissus découpés et cousus. On remarque les différences de motifs tissés, et le soin porté à la composition. Les femmes, on l’a dit, sont omniprésentes. Ici, contre un arbre, une mère est aidée dans sa délivrance par trois femmes. Là, une famille autour d’un chaudron prépare un repas. Les hommes sont à l’écart des femmes et des enfants. On ne semble pas tellement avoir besoin d’eux ici.

Les signes du Zodiaque

Au milieu, la frise du zodiaque s’inspire directement dans sa forme de celle de Ferrare. Chaque signe porte un thème. Le Scorpion, par exemple, est musical, et une femme à gauche joue de la guitare classique. Au-dessus, deux jeunes hommes, en tenue de gala, se tiennent dos à dos. Vont-ils chanter? A droite, une jeune femme assise sur une chaise en plastique écoute. Dans le signe de la Balance, on remarque une femme avec un micro, semblant tenir un discours. A sa main un texte : “We are challenging Europe. We Roma have always been challenging the system around us.” Le message politique est clair, et puissant. Transnationale, la communauté Rom est-elle peut-être la plus européenne? On ose le penser. Dans d’autres signes astraux, des femmes, en tenue pop presque psychédélique, continuent la tonalité puissante des choix visuels. Au Cancer, encore de la musique et de la danse, en tenue traditionnelle cette fois. Une des femmes, fleur rouge dans les cheveux, danse, main ouverte, en position de flamenco.

Les femmes, la vie quotidienne et la mort

En bas, le quotidien le plus banal est mis en évidence. Ici des femmes en groupe assis, cousent des tissus, qui ressemblent étrangement à ceux qui forment la fresque elle-même, toutes générations confondues. Là, huit femmes sont dans un salon, prenant un café, palabrant, avec des gestes. A droite, des photographies en noir et blanc, en papier, sont scotchées sur le tissus, montrant l’inspiration de la scène, et renvoyant à de la documentaution historique rom.

Des femmes étendent du linge. Plus loin, d’autres jouent aux cartes; un homme, discret, est tenu à l’écart du jeu. Les hommes sont représentés presque seulement aux travaux des champs, ramassant des pommes de terre avec les enfants. Plus loin, des femmes plument une volaille, préparant le repas. De vraies plumes sont collées au tissu, comme l’auraient fait des peintres cubistes.

Enfin, la maladie et la mort terminent le cycle, avec notamment une vieille dame fumant dans un lit médicalisé, très touchante. Le cercueil de l’avant dernière scène, était exclusivement porté par des hommes. On semble avoir trouvé leur utilité…

Sébastien Planas
Realitzador nascut el 1975. Director del Filaf (Festival Internacional del Llibre d’Art i del Film) de Perpinyà. Membre del jurat de Cinema dels Premis El Temps de les Arts.

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