Le Théâtre de la Monnaie reprend la production du rare Conte du Tsar Saltane après le succès de sa création en 2019. En dépit des grèves de transport et malgré l’abondance de propositions de spectacles à cette saison de l’année, la billetterie affiche complet.
Le Conte du Tsar Saltane
Musique : Nikolaï Rimski-Korskakov (1844-1908)
Direction musicale : Timur Zangiev
Orchestre symphonique et chœurs de la Monnaie
Théâtre de la Monnaie, Bruxelles
3 au 19 décembre 2023
Dimitri Tcherniakov, metteur en scène russe révélé à l’Occident depuis plus de 15 ans, aura non seulement enthousiasmé par des productions disruptives et parfois corrosives du répertoire classique et notamment celui de Richard Wagner mais il aura redonné ses lettres de gloire à des œuvres russes rarement voire jamais représentées sur les scènes lyriques européennes. Il assume une prédilection pour Nikolaï Rimski-Korsakov, membre prolixe du Groupe des Cinq, pour lequel il a la plus grande affection et familiarité. Son Coq d’Or a été régulièrement repris depuis les soirées des Ballets Russes au début du 20ème siècle. Le Conte du Tsar Saltane demeurait à peine connu en Europe occidentale jusqu’à cette inventive et enthousiasmante mise en scène entrée au répertoire en 2019, co-production du Théâtre de la Monnaie avec le Teatro Real de Madrid.
Tcherniakov s’est entouré d’une équipe talentueuse pour les vidéos et les costumes mais il demeure personnellement très impliqué, à l’initiative de la conception scénique et des décors, prenant même le crayon pour des dessins projetés au fil des quatre actes de la représentation. La production prend graduellement son ampleur, au Prologue et au 1er acte volontairement resserrée devant des rideaux de scène, la cage de scène se révèle ensuite, correspondant au récit de voyage du conte. Spectacle visuel total mais Tcherniakov ne s’arrête pas là. Sa connaissance intime du conte de Pouchkine et de l’opéra de Rimski-Korsakov lui permet d’interpréter et de partager sa propre vision de l’œuvre. Il met en avant le rôle du Tsarevitch Gvidon, autiste, magistralement incarné par Bogdan Volkov.
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Ce ténor lyrique ukrainien d’origine et russe d’adoption, avant le conflit, fut le créateur du rôle en 2019 et Tchernikaov a pensé pour lui et avec lui cette production. Présent et même hantant la scène pendant la première partie du spectacle sans mot dire, son chant impressionne ensuite par la sourde lumière et le naturalisme de son jeu. L’autre créatrice du rôle qui reprend avantageusement l’habit de la Tsarista Militrisa est Svetlana Aksenova. D’enfant délaissée elle se transforme en femme libérée, distanciée des autres personnages de l’œuvre en portant comme son fils un costume contemporain. Au-delà d’un simple artifice de mise en scène, Tcherniakov transpose ainsi l’argument dans un univers plus contemporain. Comme son ténor de fils, la soprano se ballade dans les différents registres du rôle et assure une représentation pénétrante et émouvante.
Le reste de la distribution convainc tout autant, les deux sœurs dignes de celles de Cendrillon, Bernarda Bobro et Carole Wilson s’en donnent à cœur joie dans un costume et une pantomime volontairement outranciers. Le seul bémol de cette distribution sera Ante Jerkunica. On aurait pu attendre un peu plus de gravité de la part du croate.
En fosse Timur Zangiev fait ses débuts à la Monnaie et s’y présente avec force conviction. Il fait miroiter la musique si brillante du compositeur dans l’ouverture et dans les transitions entre chaque acte. L’Orchestre et les Chœurs font preuve d’une assurance et d’une familiarité avec un langage qu’ils ont adopté. Une preuve d’universalisme que la triste actualité pourrait nous faire oublier.